Je suis un aficionado exigeant et rigoureux. Mes critères sont souvent à contre courant de ceux de la majorité. Cependant, un principe que je défends sans réserve est celui de la concession de l'oreille demandée majoritairement par le public. Cette première oreille est très importante, car elle constitue le lien entre l'art du toreo et la passion populaire. Sans ce lien il ne peut y avoir de pérennité de la tauromachie. Aujourd'hui, incontestablement, Ginés Marín, porté par la pétition majoritaire d'oreille à son second, méritait la Puerta Grande. Le lot de Garcigrande - Domingo Hernández, complété par un Buenavista, était inégal de présentation et médiocre en comportement, sauf le dernier qui a montré plus de mobilité et de classe.
Le premier toro est un Buenavista cinqueño que Sebastián Castella torée de cape entre fléchissements et coups de vent, les meilleurs passages étant donnés sur la corne gauche. Bien piqué par Santiago Pérez, le bicho s'engage peu. Le quite, par chicuelinas brusques et accrochées du matador, précède une seconde rencontre au cheval banale. Quite d'Alvaro Lorenzo par chicuelinas sur la défensive, en mouvement. Rafael Viotti réalise une bonne prestation avec les banderilles sans être invité à saluer. Le Français débute la faena côté soleil par estatuarios et remates a mi-hauteur car le toro est fébrile. À ce stade les derechazos sont déjà poussifs tant la charge est empruntée. Toute tentative subséquente est vouée au néant. Castella entre a matar sans conviction pour pinchazos et descabello. Silence.
Le second de Sebastián Castella, de Garcigrande, oblige son matador, avec le concours du vent, à le mener por fuera. Le toro pousse sous la première pique et soulève la monture dans une seconde pique tronquée. Le troisième passage en carioca ne permet pas de juger de l'évolution du comportement du bicho. Bonne prestation de José Chacón au second tiers. Brindis au Roi émérite. La faena débute par doblones face à une charge qui doute et va a menos. Les derechazos confirment que le toro donne des coups de tête, avance en doutant et s'appuie sur ses pattes avant au milieu des muletazos pour se retourner rapidement. Castella insiste brièvement dans un trasteo sans aucune chance de briller. Bajonazo. Sifflets au toro. Silence.
Álvaro Lorenzo reçoit son premier par quelques véroniques et la demi-véronique en rythme avec la charge. Le garcigrande, protesté par les plus exigeants, combat par à-coups aux piques puis sort immédiatement de la seconde rencontre. Quite anodin de Ginés Marín à l'image de la charge du toro. Rafael González Amigo et Alberto Zayas saluent justement pour un excellent second tiers face à une charge ravivée. Brindis au Roi émérite. L'animal plonge dans les doblones à la limite de ses forces. À droite la première série est décousue. La suivante, liée, est peu intense et terminée en desarme. Au gré du vent le matador, avec son flegme indolent habituel, prend la gauche avec une propension à toréer al hilo, ce qui se voit clairement lorsque le toro s'arrête entre deux charges. Accrochages et desarmes prévalent en fin de trasteo. Pinchazo, avis et entière trasera, desprendida en perdant la muleta. Silence.
Le cinquième a du volume et saute dans la cape de Lorenzo qui s'efforce, sans succès, à le passer en cape. Le toro renverse la cavalerie en poussant par devant. Le premier tiers prend des airs de capea, le public proteste et le toro est peu piqué. Dans la cape de Rafael González Amigo le toro gratte le sol, tire des derrotes et montre des signes de distraction. Le matador entame sa faena par tanteo accroché. Les droitières templent le calamocheo. Le trasteo est sans relief du fait de la médiocre charge du bicho. Lorsque Ávaro Lorenzo tente à gauche le garcigrande capitule. Deux pinchazos et entière trasera et desprendida.
Ginés Marín, vêtu de banderillero, écoute les protestations au toro lorsqu'il le torée magnifiquement de cape par véroniques, demie et revolera. Le bicho s'emploie comme il peut sous une carioca inadaptée. Ginés Marín réalise un quite dont la bonne intention est dénaturée par une charge fébrile. Le second passage au cheval est mal réalisé et mal pris. Quite par saltilleras et revolera de Castella. Brindis au Roi émérite. Le toro galope dans un début de faena esthétique et exigeant. Ginés est très décidé. La charge ravivée permet au matador de lier des derechazos profonds. "Citant" de loin, il profite pleinement d'une charge excellente et "humiliée· du toro de Domingo Hernández. Répétant la même intention à gauche le matador voit la faena perdre en intensité cependant avec l'assentiment des tendidos. La noblesse du toro finit par prendre le dessus, la charge se raccourcit et les passes s'enchaînent sans laisser sortir le toro de la muleta à droite. La fin de faena va a menos avec plus de figure composée que de toro. Entière au pas de course pour une épée trasera, tendida, desprendida. Oreille.
La corrida se termine avec un toro bas, trapu, aux cornes ouvertes qui permet a Ginés Marín de toréer avec conviction, pieds joints et remate final par demi-véronique. Le bicho s'emploie par à coups en deux rencontres au cheval. Marín attaque à gauche, aux tercios, sans tanteo. Il donne de la distance dans les cites et le toro répond en donnant au trasteo une intensité palpable. Le matador ne retient rien et donne le maximum sur les deux cornes. Sa tauromachie est sincère et profonde, même si quelques scories apparaissent sur la corne droite. Puis soudain la charge se désunit et devient courte et brusque. Ginés Marín insiste à droite dans un style moins glorieux, bien que volontaire. Bernadinas en signature et pinchazo dans la croix en marquant les temps. Entière desprendida. Pétition majoritaire non accordée. Double vuelta.
René Philippe Arneodau