La corrida n’est pas toujours faite de gloire, de paillettes et pasodoble et parfois le drame rode y compris les jours de fastes et attente fébrile comme le prédisposait le mano a mano d’Andrés Roca Rey et Pablo Aguado ; l’un pour son retour à Madrid depuis mai 2019 et l’autre auréolé de la magie de son toreo si particulier… lorsque les conditions s’y prêtent. Aujourd’hui dès le deuxième tiers, la tragédie survenait. À la sortie d’une paire de banderilles, le banderillero de la cuadrilla d’ARR, Juan José Domínguez, était déséquilibré et soulevé plusieurs fois, la corne dans la poitrine ou dans le cou, repris au sol. Le toro n’avait pas eu une course franche, grattait de sol et le banderillero était surpris par une charge violente telle qu’il n’y avait pas d’échappatoire possible. La manière dont il était ensuite soulevé laissait prévoir le pire, rappelant la cogida fatale de Manuel Montoliú à Séville en 1992. Pablo Aguado était, lui, pris en portant l’estocade au 6ème. Ce mano a mano avait permis d’enregistrer, à ce jour, la meilleure entrée de la feria. Les toros provenaient de plusieurs élevages, tous d’origine Domecq. Ils ne manifestaient pas les qualités idéales pour assurer le succès des deux figuras dont on attendait un duel qui, finalement, n’eut pas lieu. Seul un toro de Garcigrande, le 3ème, nous faisait retrouver le jeune Péruvien dans son style baroque et brillant.
C’est donc à son deuxième opposant, de Garcigrande, qu’Andrés Roca Rey remportait un succès complet qui se dessinait à la cape, véroniques classiques suivies d’une improvisation toréant de la pointe de la cape, à une main, en rond avec beaucoup de temple. Magnifique ! Après une pique, poussée, tête fixe dans le caparaçon, baissée ensuite dans les capes, le toro présentait une belle attitude, un bon tranco aux banderilles. La faena de muleta débutait par un péndulo doublé à genoux et poursuivi de passes de la droite en redondo toujours à genoux. A partir de là, la faena se caractérisait par des séries où le placement, la capacité d’ «obliger» le toro, de le garder dans la muleta par le bas faisaient merveille. A cela, on ajoutera des improvisations : passe dans le dos, arrucina, passe de la firma, etc. Ce toro terminait épuisé, exprimé par tant de passes et aussi de bravoure pour les supporter aussi longtemps. Malgré cela, ARR lui imposait encore un circular lié à des passes de la droite, courtes en redondo et des bernadinas, «changeant le voyage» au moment de la juridicción. Sonnait un avis et ARR se jetait sur les cornes pour une estocade entière. Les deux oreilles étaient concédées.
A son premier, de Vegahermosa, toro grattant le sol, pas très collaborateur d’entrée, ARR invitait Pablo Aguado à toréer à la cape, sans grande conviction de ce dernier qui dessinait des véroniques quelconques applaudies par ses fans, nombreux aujourd’hui. La réplique par saltilleras et revolera donnait une autre impression de ce toro qui allait devoir subir la domination du Péruvien qui lui soutirait des passes pour le garder dans la muleta et le rendre meilleur qu’il ne paraissait. Cette faena consciencieuse et l’estocade un peu tombée déclenchaient une pétition d’oreille, non accordée. Le cinquième de Nuñez del Cuvillo, sautait dans la cape d’ARR, fuyait du cheval à la première piqûre, ne s’employait pas sous une vraie pique, très en arrière et rectifiée. José Chacón signait deux bonnes paires de banderilles. La faena laissait quelque espoir avec un tanteo varié, un joli trincherazo, mais le toro n’en voulait plus après une bonne série de la droite, longues passes, suivies d’autres derechazos de deux en deux, sans permettre le remate de la passe de poitrine…. Une demi-estocade suffisait pour en finir avec ce toro, « décasté ».
Le 2ème, de Jandilla, ne permettait rien à la cape de Pablo Aguado et se révélait suelto et manso. D’ailleurs, il allait chercher le picador réserve dans le terrain du toril. ARR dessinait une série de chicuelinas vraiment toréés auxquelles répliquait Pablo Aguado selon le même registre dans la querencia du toro, passes plus volontaires que bien enlevées. Le bon tranco du toro au deuxième tiers disparaissait dès que la muleta lui était présentée. Ne fallait-il pas lui donner de la distance pour l’engager avec inertie dans la muleta et ensuite lier les passes ? Sinon l’animal se trainait sans envie, pour finir fuyant vers les barrières et recevant un metisaca dans les bas-fonds et un nombre important de descabellos, sans pouvoir le fixer, déjà moribond. Le 4ème de Garcigrande, applaudi à sa sortie. était accueilli par un bouquet de véroniques, pas appuyées mais tout en douceur, d’une extrême lenteur, surprenantes à cet instant sans que le toro eût été testé à la cape ! Enorme ovation, public debout ! Le toro chargeait très fort le cheval pour une pique bien soutenue, tête à mi-hauteur, fixe dans le peto. Après un bon tercio de banderilles, l’entame de la faena par doblones «templés» surtout du côté gauche, genou en terre, donnait de l’espoir mais par la suite il n’y eut plus d’ «entente» entre le Sévillan et le jandilla. Estocade horizontale desprendida. Le 6ème de Nuñez del Cuvillo sautait dans le capote de Pablo Aguado. Le toro allait au cheval pour une pique insignifiante, sans pousser. La faena laissait entrevoir, enfin, le toreo personnel de Pablo Aguado, l’expression de la grâce sévillane, le tout émaillé de muletazos à mi-hauteur, lents, des changements de mains par devant et un molinete délicieux. Le toro n’allait pas au bout des passes de la droite, de face, qui lui étaient prodiguées. Il fallait prendre l’épée pour la mise à mort. Pablo Aguado était pris en portant une estocade jusqu’à la garde.
Andrés Roca Rey : ovation ; un avis et deux oreilles ; silence. Pablo Aguado : deux avis et silence ; saluts ; ovation. Juan José Domínguez présente « une blessure par corne de toro à l’hémithorax gauche, quatre trajectoires qui affectent les zones infra et supraclaviculaires, fracture de la 3ème côte, aisselle, zone supérieure du sternum. Graves lésions musculaires » Quant à Pablo Aguado, il souffre d’une “blessure par corne de toro de la face interne de la cuisse droite, avec deux trajectoires de 20 et 14 cm » Pascual Mellinas et Diego Ramón Jiménez de la cuadrilla de Pablo Aguado devaient saluer au deuxième tiers du 4ème ,José Chacón de celle de Roca Rey en faisait de même au 6ème . |
Georges Marcillac