La coquette plaza de toros – zezen plaza en euskerra – d’Azpeitia est le lieu de réunion, chaque année pour la San Ignacio (de Loyola) de bon nombre d’aficionados de tous horizons, d’Espagne bien sûr et aussi de nombreux fidèles français pour trouver un des derniers réduit de la Fiesta de los Toros. Cette année. Le président de la commission taurine azpeitiarra, Joxin Iriarte, a voulu, et c’est la tradition, d’une part d’inclure à sa programmation des toros ayant déjà triomphé à Azpeitia et d’autre part des toreros auxquels est donné une chance d’exploiter des qualités ou espoirs souvent occultés par l’absence de contrats et, pourquoi pas, en raison de l’ostracisme des empresas. Les toros de la ganadería d’Ana Romero (encaste Santa Coloma) étaient à l’affiche pour la troisième année consécutive et pour les jours suivants ceux de Murteira Grave (Granja – Portugal) absents depuis 1985 et ceux de Salvador Gavira (encaste Marzal) héritiers d’une longue histoire dont la devise blanche rappelle que ces toros inauguraient les corridas royales. Les succès de l’année dernière étaient récompensés et Pepe Moral et Curro Díaz figuraient au programme de la deuxième et troisième journée respectivement. La nouveauté était la place réservée à de jeunes toreros tels David de Miranda – deux oreilles à Madrid le jour de sa confirmation d’alternative – Juan Leal et Adrien Salenc – troisième corrida en tant que matador de toros après son alternative d’Istres au mois de juin - comme un clin d’oeuil destiné aux visiteurs français… Un matador inconnu Tomás Angulo, de Badajoz, complétait le cartel face aux murteiras et Ginés Marín, déjà figura et Ángel Téllez de Madrid, lui aussi récemment promu, se joignaient au cartel du dernier jour.
Mercredi 31 juillet – Daniel Luque sur un nuage.
Devant une corrida d’Ana Romero, en deçà de ses succès précédents, en présentation et comportement, Daniel Luque mettait à profit la douceur de charge, pas innocente, du 4ème, avec lequel il nous régalait de son toreo déjà exprimé dans tout le sud-ouest français cette saison. La maîtrise d’abord, le rythme et la cadence ensuite au gré d’une charge de qualité sans à-coups, pas toujours «humiliée», étaient les arguments de la muleta et du temple du torero de Gerena (Séville) pour guider idéalement le toro de nom «Claraboya». Il semblait même que le maestro toréait pour lui-même (il avait fait taire la musique…) offrant aux connaisseurs des séquences de toreo de haut niveau couronnées d’une bonne estocade. Les deux oreilles étaient naturellement concédées.
Le 1er ana-romero recevait une pique bien légère. Daniel Luque s’accommodait d’une charge à mi-hauteur, sans lier les passes il parvenait à passer dans la muleta le bicho réticent qui tendait aussi à se retourner sans malice, il est vrai. Demi-estocade desprendida. Quelques applaudissements.
David de Miranda restait inédit après ses deux prestations. Visiblement peu à l’aise dans les deux cas, avec raison face au sobrero de Salvador Gavira sorti en 5ème position, toro de belles hechuras qui ne pouvait être fixé d’où un trasteo en mouvement pour des demi-charges évidemment compliquées. Le 2ème, un ana-romero de médiocre présence, faible des pattes avant n’était pas vraiment toréé avec l’application souhaitée sans se livrer ni le toro ni le torero. Des naturelles, une par une décollées de la trajectoire du toro celui-ci terminant la tête en l’air. Des descabellos après une estocade tombée et le torero de Huelva recevait des applaudissements… peu.
Adrien Salenc toréait bien à la cape à la réception du 3ème et continuait à la muleta avec style et « temple » mais le toro s’arrêtait comme apeuré – acobardado – lorsque les passes l’ «obligeaient». Après le traditionnel zortziko, le toro était sifflé et le jeune matador de la Fondation de «El Juli» applaudi. Au 6ème, «Clarineto» qui entrait avec vivacité dans la cape relevait le niveau de l’après-midi et prenait même deux piques. Il y a transmission dans la première partie de la faena, le toro s’ »ouvrant » et permettant l’enchaînement des passes malgré la tête relevée en fins de muletazos (bien dans le style des santa-coloma). Ce toro allait a menos et Adrien Salenc savait, intelligemment, par des passes enlevées et des adornos maintenir le rythme de la faena et cacher ainsi la baisse de régime de son opposant. Des passes par le bas - doblones – sans forcer l’animal précédaient une estocade d’école. Le tout ne recevait qu’une légère pétition d’oreille. Néanmoins il fallait reconnaître le style et les capacités de lidiador du jeune Français.
Jeudi 1er août – Juan Leal coupe une oreille. 50% de satisfaction pour les toros de Murteira Grave.
En effet, ce bilan satisfaisant faisait remonter le moral des aficionados déçus de la veille. Sans être trop piqués, deux ou même trois des Murteira Grave permettaient des faenas sans pour autant atteindre des sommets limités comme celles de Juan Leal, faenas notables mais non exemptes des scories d’un toreo pas toujours classique. Il sortait triomphateur, lui aussi à 50% car une seule oreille lui était accordée à la mort du 5ème alors que la présidence inflexible n’octroyait pas la deuxième fortement demandée. Il effectuait deux tours de pistes sous les acclamations. L’Arlésien peut être crédité d’une bonne actuación car on devine chez ce torero des qualités irrémédiablement gâchées dès qu’il déploie sa vaillance et son toreo de proximité. Entre les cornes, les pieds rivés au sol, il ne laissait aucun espace au mouvement de sa muleta inévitablement accrochée ni à la charge réduite de ce toro de 558 kg, de juste cinq ans et de bon trapío. Le foisonnement des passes de cape – larga cambiada à genoux, chicuelina, tafallera, saltilleras et revolera –, le «cite» à genoux au centre de la piste à l’amorce de la faena de muleta pour des passes en rond et la première série de la droite, le toro vif et «humilié», pas trop ou presque pas piqué, auguraient une faena plus reposée qui virait au tremendismo dès que le murteira-grave réduisait sa charge, perdait de sa vigueur et s’arrêtait presque après plusieurs accrochages de muleta.
L’estocade était portée avec décision, avec un petit saut… Au second, Juan Leal profitait d’une charge longue, dans des «cites» à distance pour une série de saltilleras à la cape et un péndulo à la muleta. C’est là que le toro n’acceptait pas la passe suivante et la faena se transformait en un toreo, près cornes, tant prisé du Français, circulaires inversés, passes dans le dos, essai de luquecinas avorté et une estocade entière à toro arrêté qui nécessitait plusieurs descabellos. Sonnait un avis. Saluts au tercio.
Pepe Moral restait inédit dans une faena? durant laquelle le 1er exhibait une faiblesse telle qu’il terminait au sol à chaque passe. Au 4ème, sans doute le meilleur du lot, de belles hechuras, brave au cheval, le Sévillan de Los Palacios ne trouvait pas les ressources nécessaires, techniques et de détermination, pour entraîner le toro à suivre la muleta en continuité dans des séries droitières. Tardo, ce toro prenait ensuite la muleta avec entrain insuffisamment guidé. La faena et l’efficace estocade entière arrière ne justifiaient pas l’oreille que la présidence d’ailleurs n’accordait pas. Vuelta de la propre initiative du torero…
Tomás Angulo montrait de la vaillance et parfois de bonnes qualités à la muleta mais aussi un manque évident de pratique, laissant trop souvent l’étoffe accrochée, ses deux toros trouvant de ce fait une cible facile à atteindre et freinant leurs charges. De jolis gestes à la naturelle au 6ème, passes isolées, certes, à la merci d’un retour vif par le haut de ce toro lorsqu’il alternait avec les passes droitières. Demi-estocade portée dans un bon style. Le 3ème, haut sur pattes et plus léger, se défendait dans la muleta du torero de Llerena (Badajoz) et il s’ensuivait les enganchones cités plus haut. Néanmoins, en fin de faena, Tomás Angulo réussissait à éviter ces défauts par des passes longues que le toro acceptait, détrompé – desengañado –, par la muleta mieux conduite. L’épée tombait basse. Légers applaudissements.
Vendredi 2 août 2019 – Une oreille pour Curro Díaz et Ginés Marín. Bonne impression d’Angel Téllez. Les toros de Salvador Gavira étrangers à une feria dite du TORO.
La corrida de clôture de la feria peur être considérée comme de niveau moyen si l’on se réfère aux résultats obtenus par les toreros. Par contre, il est difficile de la faire entrer dans une feria où le facteur TORO doit être l’élément fondamental. L’homogénéité des poids s’échelonnant entre 510 et 540 kg n’avait pas son corollaire ni en hechuras et encore moins avec leur comportement. La mono-pique était de rigueur souvent réduite à un picotazo avec pour conséquence des chutes répétées pour le 1er, les autres tenant debout par la race parfois qui ressortait avec le 2nd ou le bon toreo de Curro Díaz et de Ginés Marín. Le 4ème sans vraiment une passe et le 6ème, manso, était retenu dans un minimum de terrain par Ángel Téllez. La corrida était retransmise par la chaîne Movistar Toros.
Curro Díaz est chéri par les azpeitiarras. En lui reconnaissant toutes les qualités qu’il réunit, de torero artiste notamment, il prétend montrer souvent ce que ses fans veulent bien voir, c’est-à-dire un toreo primesautier, fait de détails sans vraiment forcer et restant en deçà de ses possibilités. Ce fut le cas au 4ème, avec lequel il toréait à distance utilisant l’euphémisme des vuelos de la muleta… Une bonne série de naturelles, la muleta déployée, une passe circulaire inversée et, à la fin, un desplante laissant choir la muleta sous le museau du toro ! Toute une originalité. Après l’estocade verticale, la mort lente et spectaculaire du toro, une oreille était accordée. A son premier, Curro avait subi une cogida, sans conséquences apparentes, dans les muletazos préparatoires à la mise à mort après une faena où le salvador-gavira s’était étalé maintes fois. Des détails dans les remates, avec un toro qui se déplaçait avec difficulté. Estocade tombée. Saluts au tercio.
Ginés Marín, dont c’était le premier paseillo à Azpeitia, remplissait parfaitement son contrat en signant une faena complète au 2ème. Le torero de Badajoz, né à Jerez de la Frontera (Cadix), possède un répertoire complet et varié à la cape et à la muleta, il le mettait à exécution avec ce toro, colorado, le meilleur de l’après-midi, pas très costaud, dont la charge noble permettait une faena, structurée par la succession de passes hautes, pieds joints au début, des passes fondamentales avec en intermèdes ou remates, farol et même une arrucina, les inévitables circulares et, en final, des bernadinas «changeant le voyage» au dernier moment. Le tout avec assurance, légèreté et naturel dans le geste. Une entière décisive après un pinchazo, un avis et une oreille bien méritée. Le 5ème, malgré les efforts de Ginés Marín, ne permettait rien après un bon début, il s’arrêtait et les attitudes guerrières du torero n’étaient pas nécessaires. Beaucoup de pinchazos… et un descabello. Silence.
Ángel Téllez, nouveau aussi à Azpeitia, par sa jeunesse et encore peu connu ne bénéficiait pas de la ferveur réservée à priori aux vedettes et ses faenas ne soulevaient pas les ovations que son toreo posé et technique méritait. Faena un peu longue avec final à la manière de Manolete - manoletinas regardant le public - avant un pinchazo et une lame entière un peu basse. Un avis et saluts au tercio. Le manso 6ème permettait à Ángel Téllez de révéler un talent, une quiétude et savoir-faire que l’on ne soupçonnait pas d’un aussi jeune matador. Ce toro distrait et chargeant à tout-va avait paniqué la cuadrilla aux banderilles. Il n’inspirait aucune confiance en début de faena mais Ángel Téllez se plaçait comme si «Aguador» allait collaborer… et lui tirait des passes. Au plus près des cornes, il était nécessaire de forcer la charge, du toro rétif néanmoins noble, muleta toujours à la distance juste. Un avis ponctuait la longueur de ce trasteo méritoire. Salut après un pinchazo et une estocade desprendida.
Georges Marcillac
Photos de Javier Arroyo pour www.aplausos.es