Lors de la présentation de la feria de Bilbao à Madrid le 7 juillet dernier, l’accent était mis sur le cartel – le premier du genre – qui allait réunir les trois toreros « émergeants » du moment en ce vendredi de la Semana Grande. Comme on le sait par suite de la blessure d’Andrés Roca Rey – forte voltereta à Málaga et indisponibilité pour une durée indéterminée – ce cartel était réduit en un mano a mano entre Alberto López Simón et José Garrido. Ce matin même circulait la rumeur selon laquelle l’entourage de López Simón avait opposé son veto à l’incorporation au cartel d’un autre jeune torero, en l’occurrence Javier Jiménez qui avait coupé deux oreilles à Madrid dimanche dernier. Cette rumeur était tour à tour confirmée et démentie par des professionnels du mundillo, finalement démentie par le torero lui-même, après le paseo, lequel s’était déroulé – cas inhabituel – sous les sifflets, Alberto López Simón prenant pour lui cet accueil peu chaleureux. Un autre incident pouvait expliquer l’atmosphère spéciale de cette corrida : à la mort du premier toro, au descabello, le verduguillo sautait de la main de López Simón et volait dans le public et blessait légèrement un spectateur au poignet (quelques points de suture seulement, l’épée ayant été arrêtée par le bracelet métallique de la montre de ce spectateur chanceux. NDLR). Le torero venait ensuite s’enquérir de l’état de santé du spectateur pour s’excuser de cet accident malencontreux. Après la faena du 3ème Alberto López Simón se dirigeait vers l’infirmerie pour ne plus en ressortir atteint d’une crise d’anxiété selon le communiqué des médecins des arènes. Est-ce l’accumulation de ces derniers moments de tension, la fatigue des voyages, le stress, la responsabilité en cette corrida importante à Bilbao ? Toujours est-il que la suite de la corrida reposait sur les épaules de José Garrido qui devait tuer les trois derniers toros restants.
Les toros étaient de l’élevage de Torrestrella, de la famille Álvaro Domecq, qui revenait à Bilbao après plusieurs années d’absence. Les quatre premiers « faisaient le poids » mais n’étaient pas du goût des connaisseurs car, hauts sur pattes, bien encornés mais vareados. Au contraire, les deux derniers présentaient les hechuras de toros faits, bien proportionnés, donc de trapío et pelage de toros de cet encaste. Justement le 5ème allait au cheval avec un élan et une force qui ne se démentait point tout au long de la faena de José Garrido. La qualité de « Barbadura », de 599 kg, presque 5 ans (09/2011), s’affirmait dès la deuxième pique, soulevant le cheval, mettant en difficulté les banderilleros surpris sans doute par sa course puissante et véloce. Après quelques hésitations et difficulté pour se mettre au diapason de la charge du toro, José Garrido trouvait la distance et la position de la muleta pour qu’enfin le toro « rompe por abajo » (expression du jargon taurin qui traduit la mise en évidence des qualités d’ « humillación » du toro. NDLR) et pouvait de la sorte réaliser des séries des deux mains, meilleures et plus profondes les naturelles, la muleta très basse, le museau du toro frôlant le sable gris de Vista Alegre, et déclencher ainsi les premiers vrais olés de l’après-midi. Le toro recevait un trois-quart de lame un peu tombée et l’oreille était concédée avec une certaine insistance pour demander la seconde. Belle mort du toro brave au centre de la piste.
Une autre oreille aurait pu être accordée, le président Matías González, restant inflexible après la mort du 4ème, après un estoconazo et une faena que José Garrido avait terminée par des bernadinas (muleta sans l’ayuda) face à un toro qui n’« humiliait » pas, ne se livrait pas… A son premier, José Garrido s’était distingué à la cape, par des véroniques cargando la suerte et terminant la série au centre du ruedo par une bonne demie. Le toro terminait quasi arrêté, sans avoir baissé la tête durant la faena de muleta mais ayant serré de près en plusieurs occasions le torero qui montrait assez de fermeté pour se permettre un court arrimón sur la fin. Une estocade version « El Juli » après un pinchazo. Le 6ème dont la robe – ensabanado, mosqueado, capirote en cárdeno, botinero (voir photo ci-dessous) – et les hechuras faisaient l’admiration de tous à l’apartado, était reçu a porta gayola, spectaculaire mais sans intérêt.
Très vite ce toro se réservait et n’offrait aucune possibilité de faena à José Garrido qui, malgré sa fatigue et voulant forcer la sortie a hombros avait débuté par des passes hautes assis sur le marchepied des barrières et dessiné un formidable trincherazo pour boucler cet entame brillante. Laborieuse mise à mort et un avis.
Alberto López Simón n’avait guère brillé avant sa sortie vers l’infirmerie. Son premier, la tête haute, le serrait à plusieurs reprises, il l’expédiait par une épée horrible, presque dans le flanc gauche de l’animal ! Le troisième présentait le même défaut de tête, une charge incertaine, sans entrega et, là aussi, Alberto se débarrassait de l’animal et lui plaçait une estocade basse.
Alberto López Simón : silence aux deux seuls qu’il combattait. José Garrido : saluts ; pétition d’oreille et vuelta protestée ; une oreille ; ovation et saluts.
Georges Marcillac