Ce titre facile en matière tauromachique - livres, colloques ou expositions portaient ce titre – traduit néanmoins le vécu de cette dernière corrida de la San Isidro 2016. Des toros puisque, selon la tradition, les toros de Miura étaient à l’affiche pour clôturer le cycle, leur légende, leur type et leurs complications attirent le public aficionado et celui qui l’est moins justement pour ce nom légendaire. Des hommes, parce que trois toreros devaient combattre ces toros, combattre dans le sens plus précis et technique qu’est la lidia, c’est-à-dire user de tous les ressorts techniques pour maîtriser des animaux plutôt compliqués, différents par leurs hechuras des autres camadas, mais aussi variables par leur comportement en piste.
La corrida d’aujourd’hui n’a pas failli à cette réputation et si le résultat final, le bilan résumé des agences de presse, se limite à des « silences » ou « maigres ovations» il faut savoir que l’attention des spectateurs fut constante et que les trois toreros du jour quittaient la place sous les applaudissements récompensant leurs efforts et leur dignité face à des toros dont on attendait mieux.
Les toros de Miura sont grands, de grand squelette et dont les poids ne semblaient pas s’accorder à leur apparence que l’on aurait qualifié de terciados pour des lots de tout autre ganadería. Donc d’inégale présentation, en hechuras, hauts sur pattes – zancudos (de zanco : échasse) - et cornes pas trop développées, sauf celles du 2ème et du 5ème , playero, cornes large ouvertes. De leur comportement on retiendra la variété, allant du bon toro, le premier bis, à celui sorti 6ème, brave au cheval et le contraire à la muleta, aux autres refusant le châtiment ou le prenant de mauvaise grâce, pas très commodes à la muleta.
Rafael Rubio "Rafaelillo", un habitué de ce genre de corrida, recevait le premier trop faible pour continuer en piste qui était remplacé par le second miura que lui avait destiné le sorteo. Ce toro de nom «Tabernero», de grand gabarit, allait au cheval en poussant de la corne gauche dans le peto en deux piques légèrement arrières. Il se déplaçait aux banderilles plantées superbement par José Mora qui se « confiait » à la sortie et manquait de se faire « épingler » contre la barrière. Après le tanteo, "Rafaelillo" optait pour prendre la muleta de la main gauche et ne se trompait pas car «Tabernero» allait se révéler exceptionnel de la corne gauche. La bonne distance du cite, la course dans la muleta, l’ouverture des passes, tous ces éléments conjugués permettaient plusieurs séries de naturelles, les premières où le torero corrigeait sa position pour enchaîner, les finales citées plus court où le torero se relâchait, plus vertical. Dans un premier temps "Rafaelillo" n’oubliait pas qu’il était devant un miura et son style était moins dépuré qu’à la fin lorsque cette corne gauche lui donnait l’occasion de toréer plus reposé et presque artiste… La passe du desprecio mettait le point d’orgue à cette faena gâchée par une mise à mort précautionneuse: fuera de cacho lors du cite et le bras «allongé» "Rafaelillo" portait trois pinchazos et une estocade entière, celle-ci en bonne place. Son deuxième toro était donc le sobrero, un Valdefresno, corpulent, de plus de 5 ans, d’encolure courte, dont le comportement aux piques et à la muleta montrait que les kilos lui pesaient et après plusieurs signes de faiblesse de pattes, "Rafaelillo" abrégeait et tuait d’une bonne estocade à la première tentative.
Javier Castaño était accueilli par une chaleureuse ovation, dès le paseillo, en reconnaissance à sa présence à Madrid après être passé, dans l’entre-saison, par d’inquiétants mois de maladie heureusement vaincue à ce jour. Son premier miura avait le défaut de jouer de la tête dans ses rencontres aux piques, défaut encore plus flagrant dans la muleta, la faena n’étant qu’une suite de passes mal terminées bien qu’à gauche une série avait momentanément fait oublier cet inconvénient. La mise à mort était laborieuse avec trop de descabellos. Au 5ème, l’assurance dans son positionnement, le maniement de la cape en passes en tablier sur la gauche, plus longues sur le côté droit, les cites, la muleta bien dirigée malgré le calamocheo incessant du toro, Javier Castaño montrait un métier qui semblait avoir disparu la saison passée. En passes rapprochées, car le toro ne se déplaçait quasiment plus s’arrêtant même à moitié passe, il parvenait à tirer tout ce que le toro n’avait pratiquement plus. Une estocade légèrement tendida suffisait.
Manuel Jesús Pérez Mota est un torero vaillant et fin qui n’a pas réussi à se hisser à la hauteur des figuras et se retrouve cantonné dans les cartels des corridas « dures ». Mal servi par le sorteo il touchait deux toros qui, à la muleta, ne "servaient" pas. Son premier se déplaçait au pas, tardo, compliqué par ses coups de cornes intempestifs, ne permettait ni un semblant de faena. Le 6ème, nous avait gratifié d’un beau combat aux piques, d’un démarrage franc, au galop il avait sans doute surpris le picador qui devait rectifier avant de placer sa pique et ce n’est qu’à la troisième que la suerte était réalisée dans toute sa pureté au grand bonheur du public qui ovationnait le picador Francisco Vallejo. Cette bravoure au cheval n’était qu’éphémère car le toro ne terminait aucune passe de muleta et décochait des deux cornes des coups qui frôlaient la poitrine de Perez Mota qui devait en terminer par une estocade en trois-quart de lame, tombée.
Des hommes il y en eut dans les cuadrillas aussi. Tout au long de ses interventions, Raúl Ruiz de celle de Pérez Mota excellait dans la brega et dans deux paires de banderilles au dernier. De même, Fernando Sánchez, dans son style particulier et torero, plantait superbement, aux deux toros de Javier Castaño, des paires de banderilles, citant au pas et court, décomposant les temps et sortant airoso de la suerte.
"Rafaelillo" : un avis et saluts ; silence. Javier Castaño : un avis et silence ; saluts. Pérez Mota : silence aux deux.
Georges Marcillac