Quelques jours après la décision du Tribunal Constitutionnel espagnol, plusieurs réunions d’aficionados étaient dignes d’attention dernièrement à Madrid. D’autre part, le monde taurin bouge, déjà en prévision de la saison 2017 lorsque débute ces jours-ci la temporada aux Amériques. Comme d'habitude, en cette période, on assiste à la valse des ruptures de contrats entre toreros, novilleros ou rejoneadores avec leurs apoderados ainsi que les changements qui se produisent dans la plupart des cuadrillas. Evidemment la poignée de main est de rigueur pour ces séparations à l'amiable... Des bouleversements qui sont toujours empreints de mystère car on n'en connait officiellement jamais l'origine, peut-être incompatibilités professionnelles, insatisfactions artistiques et économiques à coup sûr.
Cette dernière semaine, dans un hotel de Madrid, avait lieu un colloque organisé par la Fondation Wellington sur le thème : « La Fiesta (de los toros) à la croisée des chemins » inspirée des récents évènements dans le monde taurin face aux agissements des animalistes et mouvements politiques malgré le verdict du TC envers l’abolition du Parlament de Cataluña. Les participants invités étaient le dramaturge catalan Albert Boadella, le matador de toros Luis Francisco Esplá et le journaliste Miguel Angel Moncholi.
Albert Boadella est un aficionado dont l’analyse réaliste marquait son discours reconnaissant que la société actuelle était de plus en plus anti-taurine. Il expliquait cela par le fait que la Tauromachie est un art qui n’a pas évolué depuis plus de cent ans au contraire de tous les autres arts plastiques justifiant l’éloignement du public en général plus enclin à apprécier les autres activités artistiques modernes qui lui sont offertes. Il se produit ainsi un changement moral « qui entraîne un regard différent sur les animaux » Il précisait que nous observons une société éloignée de la manifestation taurine parce qu’en vérité, tout ce qui a lieu dans l’arène se produit dans la vie même. Il ajoutait que “le sang n’est pas du kétchup !! et il en coûte à la société de le comprendre ». Ensuite il déclarait que la « Fiesta est poésie, histoire et culture. Pas un assassinat » et s’étonnait que de nos jours la société substituait son idiosyncrasie pour d’autres valeurs qui placent les humains et les animaux sur un même plan. Selon Boadella, il existe un mouvement des gauches politiques pour légiférer sur cette question et promouvoir un militantisme anti-taurin, s’appuyant sur l’ignorance et faisant reculer la liberté d’expression. Il ne faudrait pas défendre la fiesta de los toros comme une tradition mais plutôt pour son implication dans l’écologie, l’économie, la liberté et la poésie qui vont de pair.
Le matador Luis Francisco Esplá abondait dans cette même direction citant l’exemple de la Camargue française où coexistent l’écologie, la chasse, les toros et le tourisme. Plus lyrique le torero d’Alicante constatait que dans notre société s’est produite « une évolution absolue du rite de l’alimentation, de l’amour ou de la musique. Cette société n’adhère pas au rite sinon à la banalisation de tout ». Il ajoutait qu’il devait au toreo de n’avoir rien banalisé dans sa vie. Il se déclarait « agnostique dans la vie mais énormément respectueux envers les religions » Néanmoins il précisait aussitôt: « Je crois en le toro, et cela m’a doté d’une profonde humilité. Je crois en les toros comme en un acte de foi. Nous, les taurinos, donnons l’exemple en allant à la plaza ».
Le journaliste, chef des services taurins de TéleMadrid, professeur de l’Université Complutense de Madrid, Miguel Ángel Moncholi, abordait la question du manque de couverture de l’information taurine télévisée ou écrite, de celle des empresas aussi ainsi que celle de l’influence des fondations étrangères qui concourent à miner cette information par des campagnes contre les toros. Il y a défaut de pédagogie et il faut expliquer ce qu’est la fiesta de los toros, car on en parle « avec frivolité, ingratitude, avec des « arguments fallacieux comme dans le cas du tournoi du Toro de la Vega pour lequel il existe un règlement qui veille à la dignité du toro ». Il était rappelé l’influence de la corrida sur l’économie des municipalités et régions et de la création de plus de 200.000 emplois.
Cette semaine reprenaient les conférences de l’Aula de Tauromaquia qui en est à sa XVIème année d’existence dans les amphis du CEU San Pablo – université privée de Madrid. Sous la direction de D. Rafael Cabrera Bonnet était reçu le ganadero D. José Escolar Gil qui décrivait le caractère de ses toros d’origine Albaserrada avec quelques gouttes ajoutées de Santa Coloma et l’importance qui était donnée à leur caste reconnue par certaines places en France. Etaient rappelés les bons résultats obtenus en 2015 et cette année à Pampelune. Pour le ganadero la suerte de varas est l’opération par laquelle se jauge, se mesure la bravoure du toro, du semental et bien sûr des vaches - eralas, dans son cas - lors de la tienta. D. José Escolar est partisan de l’utilisation des fundas car l’animal, sous sédation, ne souffre aucun traumatisme. Il est aidé dans ses tâches de ganadero par son gendre, le torero José Pedro Prados « El Fundi ».
L’Ateneo Cultural Taurino Internacional - Orson Welles, la plus récente des associations taurines de Madrid, avait invité, le vendredi 28, le vétéran torero madrilène Carlos Escolar « Frascuelo » qui, après une année blanche, a toujours l’espoir d’être annoncé à Las Ventas et compte bien sur Simón Casas - qu’il surnomme Napoleón (sic) - pour penser à lui pour la prochaine San Isidro ! Il contait ses aventures de maletilla et ses heures de gloire comme novillero puntero au début des années 70 avec comme apoderados successivement la Casa Balaña et Manolo Chopera et comment il avait pris l’apodo de « Frascuelo » sans aucune relation avec le célèbre torero de fin du XIXème, Salvador Sánchez « Frascuelo » (1842-1898). Une grave blessure à Bilbao en 1977 l’éloignait des ruedos et depuis il ne pouvait montrer que ses qualités de torero classique et valeureux mais avec très peu de contrats. Il n’en reste pas moins qu'à ses 68 ans il continue de s’entraîner et demeure un des toreros préférés de l’afición madrilène.
Le programme Tendido Cero, le seul programme taurin de la télévision publique espagnole, avec à sa tête Fedérico Arnás, diffusait son émission nº 1500. Elle rendait hommage au subalterne et apoderado Enrique Bernedo « Bojilla » (1927-2001) banderillero de confiance de nombreux matadores comme les frères Girón et en dernier de Sebastián Palomo Linares.
Ces derniers jours on apprenait le départ de l’homme de télévision taurine Manolo Molés, animateur des corridas et programmes diffusés par Canal Plus Espagne, repris en 2015 par la chaîne Movistar+ qui vient de le remercier après 15 années de services. On attend qui remplacera l’emblématique communicateur taurin pour la prochaine saison 2017 car la chaîne prétend atteindre un public jeune pour ses émissions taurines.
Georges Marcillac