C’est sous ce titre qu’était inaugurée le 26 avril l’exposition « Les Autres Tauromachies » à la prestigieuse Real Academia de Bellas artes de San Fernando de Madrid pour rappeler le II Centenaire de la publication de l’œuvre « La Tauromaquia » de Francisco de Goya y Lucientes. Sous l’égide de Capital Animal qui est « une plate-forme plurielle d’art, culture et pensée pour proposer, gérer et recevoir projets centrés en la prise de conscience des droits des animaux » cette exposition se déclare « première exposition anti-taurine ». Il est ajouté que cette exposition, qui se déroulera jusqu’au 25 mai et qui couvrira donc une partie de la Feria de San Isidro, « prétend réviser l’œuvre de Goya à travers de nouvelles interprétations couplées à un sentiment contemporain qui repousse la continuité de ce genre de spectacle » (la corrida de toros –NDLR). Il est encore dit : Goya, ¿pionnier du mouvement anti-taurin?
C’est là que cette exposition cesse d’être artistique sinon une manifestation anti-taurine où s’intègrent des œuvres satiriques, humoristiques ou carrément tendancieuses et manipulatrices tels que vidéos truqués, axés exclusivement sur la mort du toro (sang, coup d’épées, puntilla, équarrissage, etc.). Les œuvres exposées ne supportent évidemment pas la comparaison avec celles de Goya qui leur sont accolées, le mélange en est choquant. De toute évidence le révisionnisme de La Tauromaquia est une entreprise malhonnête, sur le plan artistique et historique, car rien ne prouve l’ « anti-taurinisme » de Goya qui, d’ailleurs, ne s’était pas limité à cette œuvre gravée, de nombreux de ses tableaux représentent des scènes taurines sans qu’il y ait le moindre indice, de sa part, d’un rejet de la tauromachie de la fin du XVIII et début du XIXème siècle. Au contraire, l’éloge de l’afición de Goya par ses contemporains est manifeste. Il s’était lui-même représenté dans une peinture célèbre de 1780 : La Novillada et, dans sa jeunesse, il avait fait ses premières armes de torero.
La tergiversation de La Tauromaquia de Goya est exprimée par Rafael Doctor, commissaire de l’exposition, qui n’hésite pas à affirmer: « Il faut rendre à Goya l’espace critique que possède son travail. Il a représenté des monstres, aussi bien le public que ceux qui toréent ». Il est bien connu que ces mêmes « monstres » sont visibles dans la série Les Désastres de la Guerre dans laquelle Goya traduit son horreur pour les atrocités des guerres napoléoniennes ou bien dans Les Peintures Noires. En vérité, la transposition à la tauromachie de la critique de cette période agitée prêtée à Goya par les animalistes est osée et absurde. Un autre exemple de la déformation des intentions de l’artiste se trouve dans l’interprétation de la gravure nº 12 de La Tauromaquia, visible à l’exposition, qui a pour intitulé Desjarrete de la canalla con lanzas, media luna, banderillas y otras armas. Le terme canalla décrivant la foule, la populace, est volontairement péjoratif mais il correspond à la brutalité de cette suerte dont les auteurs sont le peuple de bas étage qui se «divertissait» de cette manière. Faut-il pour autant voir dans cette expression une disqualification de la tauromachie de l’époque lorsque cette gravure est la seule des 33 de la première série à reproduire une telle action barbare?
C’est pourtant un des arguments qui tendent à affubler Goya du titre de «premier anti-taurin» ! D’autre part, une des quatre lithographies de la série «Los Toros de Burdeos» (1825) s’intitule Diversión de España. Là-aussi cette oeuvre est le prétexte pour renforcer l’anti-taurinisme de l’artiste qui semble se moquer et repousser cette scène où apparaissent les visages grotesques de la plèbe formant un ruedo autour des toros.
Il faut rappeler qu’à cette époque la Fiesta de los Toros n’en était qu’à ses balbutiements et qu’elle était dominée par les fêtes populaires, les gravures de La Tauromaquia en étant le témoignage, avec, en plus, des références « historiques » contestées comme l’implication des maures et du Cid Campeador aux jeux et pratiques taurines, la mort de Pepe-Hillo qui , elle, fut véritable, etc.
Dès l’entrée de cette brillante exposition le ton est donné par la légende d’une peinture montrant en buste un torero dont le capote de paseo dégouline de sang : « Les toreros sont des psychopathes » A vous de juger !
Pour ceux qui auraient néanmoins la curiosité de visiter « Les Autres Tauromachies », qu’ils se rassurent, ils trouveront en prolongement de cette exposition la collection des 33 planches originales de cuivre qui ont servi à la gravure de La Tauromaquia et qui font partie du patrimoine de la section Calcografía Nacional du musée. Ces trésors feront ainsi oublier au visiteur la désolante et indécente manipulation de l’œuvre par ailleurs magistrale et vanguardiste du maître Francisco de Goya.
Georges Marcillac