Incontestablement ce qui ressort de la corrida d'hier de Garcigrande et celle d'aujourd'hui de Nuñez del Cuvillo c'est que nous avons créé, au delà du medio toro, le toro du Troisième Tercio qui sort de toriles en donnant l'impression qu'il est sur le point de rendre les armes et qui, épargné à la pique, reprend du poil de la "bête" pour développer une envie irrépressible de charger . On dit de ces toros qu'ils sont braves. Mais ils ne transmettent pas grand chose et laissent aux toreros le loisir de les toréer a gusto tant leur noblesse est grande. C'est la corrida du XXI siècle dans laquelle le public ignore l'être du toro de combat pour en apprécier la potentialité collaborative. À cela Séville est rendue hier et aujourd'hui.
Sebastien Castella voit sortir de toriles un Cuvillo bas, court et trapu, sans cou. Il le reçoit par lances genoux en terre, et lorsque l'animal trébuche, il résout la situation en s'enroulant en chicuelina, puis demie véronique et revolera. Le toro proteste sous le fer à la première rencontre et s'emploie à la seconde. Le maestro offre un quite par chicuelinas de menos a màs avec demie véronique. La bonne prestation de José Chacón aux banderilles lui permet de saluer. Avec des passes aidées par le haut et le bas, le Français prend la mesure d'une charge sans moteur et sans émotion. De fait Castella ne trouve à aucun moment de solution de compensation à la fadeur du bicho et se fait accrocher la muleta à gauche. La faena s'enfonce dans une lourdeur protestée par les tendidos. Deux pinchazos et 3/4 de lame, trasera et desprendida, à bout de bras précèdent un avis. Silence.
Le second de Castella est un bel exemplaire avec mobilité brusque qu'il torée de cape avec rigidité. Le Cuvillo va fort et brièvement par deux fois au cheval, sortant seul de la seconde rencontre. Brindis au public. Au centre Castella cite pour le péndulo. Le toro tarde. Lorsqu'il s'élance le matador le passe devant, derrière en totale verticalité et immobilité. Dans les derechazos la charge est lourde et manque de transmission. Le Français poursuit avec douceur et temple à droite. Il résiste à un parón du bicho à sa hauteur à deux reprises. À gauche, l'animal proteste par derrotes puis en raccourcissant sa charge. Castella refait l'effort à droite sans grande collaboration de l'adversaire et termine par un arrimón d'abord apprécié, puis protesté par certains. Un metisaca précède un pinchazo, un avis et une entière trasera et desprendida. Ovation et salut. Encore une fois Castella désireux de triompher dans sa Sevilla a été mal servi par le sorteo.
Le second Cuvillo a une charge lancinante dont José María Manzanares profite dans des véroniques au rythme de la faiblesse du toro, lances appréciés par la Maestranza. Il est épargné au cheval et magnifiquement passé en delantales, demie et serpentina par Alejandro Talavante. Le toro reprend vie au second tiers et galope devant deux bonnes paires de palitroques de Rafael Rosa. Manzanares ne tarde pas à embarquer le bichito dans des muletazos templés, profonds et plus serrés qu'à l'habitude. Musique. À droite une série est longue et relâchée. Le cambio de mano de fin de série annonce des naturelles précieuses. Le toro gratte le sol puis charge de loin pour une série qui culmine dans une naturelle longue et un pase de pecho qui l'est tout autant. Le Cuvillo va a más de manière superlative et commence à pousser le maestro à la faute de manière marginale sans que le public ne décroche de l'ambiance. Entière al recibir trasera, tendida et desprendida. Deux oreilles demandées et accordées et grande ovation au toro "Encendido" qui après un départ des plus douteux a teminé sa vie en combattant.
Avec la Puerta del Príncipe à portée de muleta José María Mazanares se voit offert l'opportunité de l'ouvrir face à un beau colorado qu'il accueille par larga afarolada de rodillas. Le toro trébuche dans les véroniques pourtant prometteuses. L'animalito est totalement épargné au premier tiers et quelques protestations montent. Ce sont les banderilles qui feront oeuvre d'épreuve mineure. Ainsi choyé l'animal bouge dans les premiers derechazos avec une tendance à raccourcir le voyage. En séries courtes comme ils les aiment, Manzanares connecte avec le public. À gauche le bicho sautille et Manzanares le canalise jusqu'à faire jouer la musique. C'est alors que la tendance se renverse et que la faena va a menos sur la corne gauche. Manzanares relance à droite dans une jolie série sans émotion sauf pour un écart du bicho qui manque l'emporter. Une demi-lame au pas de course et un descabello mettent fin aux espoirs de triomphe. Ovation et salut.
Le premier adversaire de Alejandro Talavante est un toro "joli" pour le torero. Les tentatives de véroniques jusqu'aux medios ne donnent pas le résultat escompté. Au cheval, le Cuvillo est sur la défensive avec une touche de mansedumbre. Talavante débute au tercio en montrant le chemin au toro genou fléchi. Ce toro qui n'a pas forcé durant les deux premiers tiers se réveille et répond aux sollicitations droitières avec brio aux deux extrémités de la muleta. Musique. Talavante est a gusto mais les séries sont conventionnelles. La première série à gauche hausse considérablement le niveau et arrache très justement des "olés". La suite sur la même corne est toujours de grande qualité avec quelques scories. En suivant à droite la faena est plus vibrante que parfaite avec arrucina incluse. Manoletinas compas ouvert et pase de pecho corps droit terminent l'oeuvre. Quasi entière en étant accroché et soulevé violemment. Une oreille avec pétition de la seconde.
Le dernier Cuvillo a la pointe droite escobillada. Il saute dans la cape de Talavante qui n'insiste pas. Au cheval il pousse sous une carioca puis sort seul, et rapidement, de la seconde rencontre. Après tanteo Talavante passe l'adversaire à droite dans des derechazos qui laissent les tendidos de marbre. À gauche, le passage brouillon ne fait pas mieux. Talavante abrège. Deux pinchazos et demi-lame avant longueur au descabello.
René Philippe Arneodau.