Le lot de Garcigrande, dans l’ensemble bien présenté, a eu le comportement qu’on lui connaît récemment, à savoir à la limite de la mansedumbre, mais avec la résilience pour bouger et charger avec noblesse et sans déranger.
El Juli est dans un rythme où il ne s’expose qu’avec la conviction de maîtriser la situation et il est dans l’incapacité d’éviter le "julipie" même si un triomphe en dépend. Alejandro Talavante est revenu, mais à laissé derrière lui la conviction qui lui permettait de dominer la majorité de ses adversaires. Quand à Tomás Rufo il bénéficie d’une conjoncture qui repose sur la bienveillance et générosité d'un public qui vient aux arènes avec des critères non contraignants.
Le premier de Garcigrande est distrait et peu enclin au combat. Inédit dans la cape de Tomás Rufo, il pousse sous une mauvaise pique. Affecté par une certaine faiblesse, il permet cependant à Tomás Rufo l’exécution d’un quite par delantales lents et "templés" ainsi qu’une demi-véronique tout aussi réussie. Le torero confirme des mains d’El Juli, en présence d’Alejandro Talavante, face à "Cascabel" de Garcigrande, portant le n° 74, né en 12/16 et pesant 554 kg.
Après hésitation, Tomás Rufo dédie sa confirmation au public. Sans tanteo, il attaque par derechazos aux tercios. Il poursuit au centre où le toro affirme une charge de qualité et tonique à droite. De retour aux tercios le torero poursuit par une série gauchère décousue qui laisse percer des possibilités d’intensité. Retour au centre, à droite, où la faena retrouve un niveau supérieur avec des derechazos liés dans un minimum d’espace. La suite à gauche baisse une nouvelle fois de ton avec des muletazos isolés de grand "temple". Une dernière série à droite conclut les débats. Entière desprendida et trasera portée au pas de course en couvrant la tête du toro de la muleta. Une oreille sollicitée par le public qui auraient pu être deux, si le toricantano avait mieux compris et conduit l’excellente charge du garcigrande et s’il avait tué selon les canons.
Julián López "El Juli" afronte un premier exemplaire lourd, à la charge distraite et abanto. Le premier tiers passe directement aux piques où la faiblesse du toro limite son effort sous des piques défectueuses. Micro-quite de Talavante. Suite à la cérémonie de restitution des trastos, El Juli attaque par tanteo pour mener l’animal au centre. Là, sa tentative de trasteo droitier est conditionné par la faiblesse et les fléchissements du bicho. Un extraño sur un essai à gauche convainc le matador d’écourter. Plusieurs pinchazos et esticade entière contraria. Sifflets au toro. Silence.
Le second de El Juli est lourd, bas sur pattes, bien armé. Il passe sans intention dans la cape du matador qui doit se résoudre à le fixer au centre du ruedo en véroniques et demie dominatrices. Le toro s’emploie et renverse la cavalerie en poussant au poitrail. La suite du tiers se passe dans le désordre. El Juli prend immédiatement la mesure de la charge à droite. Le toro gratte le sol ce qui n’empêche pas le torero de lier une série droitière qui annonce un trasteo allant a más dans la suivante. À gauche, il tire des muletazos de qualité, "templés" et longs, données séparément. En confiance, il enchaîne des derechazos dominateurs en se retournant dur place. Les naturelles suivantes, bien que dessinées séparément, atteignent une intensité qui connecte avec les tendidos, comme dans les passes de poitrine enchaînées. Les dernières naturelles, aux trajectoires longues, finissent de convaincre le conclave. Entière trasera après pinchazo, les deux exécutés en "julipie". Deux Avis . Pétition et ovation avec vuelta.
Le troisième se demande ce qu’il fait dans le ruedo. Alejandro Talavante dessine enfin des véroniques et demie appliquées qui révèlent une charge, somme toute, de qualité. Le garcigrande s’emploie sous une carioca. Dans la seconde rencontre, il fait sonner l’étrier. Le matador avance lentement pour rejoindre son adversaire sous le tendido 7. Le toro s’emballe dans les premiers muletazos par le bas exécutés sur jambe fléchie. Talavante change de terrain pour des derechazos en demi-ton. Il n’arrive pas à canaliser, ni à contrôler les charges à droite. Il semble qu’il va pouvoir allonger la charge à gauche, mais il n’arrive pas à lier les naturelles. Il y a une charge exploitable mais le matador ne trouve ni les distances, ni le rythme pour le faire. Il abrége. Épée défectueuse portée à bout de bras en courant. Silence.
Le cinquième de Garcigrande est rablé et veleto. Talavante lui sert des véroniques relâchées et larga finale. Au cheval, le bicho proteste avant de pousser. Il fait l’effort sous la seconde pique. Quite de Tomás Rufo par tafalleras exécutées avec précaution. Miguelin Murillo salue au second tiers. Brindis au public. Le début de faena à genoux, est réalisé, en deux temps. Après avoir dû se relever, Talavante se remet à genoux pour des derechazos au ralenti dans un minimum de terrain, avec l’intention d’un novillero. La suite à droite debout, bien que de qualité, n’a pas le même impact. C’est à gauche que la faena reprend son envol avec des naturelles longues, par le bas. La seconde série à gauche baisse en intensité et en lié. Le toro est devenu tardo et a perdu de sa verve. Le torero doit compenser par arrimón et des regards vers les tendidos. En final, il profite des terrains en allant vers les tablas pour lier des remates répétitifs. Pinchazo lorsque sonne l’avis. Puis estocade entière basse. Applaudissement au garcigrande et salut d'Alejandro Talavante.
Tomás Rufo reçoit le dernier toro par capoteo de tanteo. La charge est brusque. Le toro s’emploie dans une carrioca puis subit la seconde pique. Fernando Saénchez, troisième de la cuadrilla, passe en premier et pose deux paires qui lui valent l’ovation de la soirée. Le début de faena sur jambe pliée mêle le bon et "enganchón". Au centre, Rufo poursuit à droite dans un style brouillon. Les naturelles, dessinées une par une, ont des trajectoires longues et en courbe. C’est à droite que le matador arrive à lier derechazos et pase de pecho. La suite est décousue sur la corne gauche. Les remates de fin de faena restent des gestes isolés. L’épée est porté à toute vitesse en perdant la muleta pour une lame caida et tendida. Le public demande majoritairement l’oreille qui est concédée.
Si Tomás Rufo a bel et bien brillé en ce qui concerne sa détermination, le résultat technique et esthétique de ses prestations ont du mal à justifier la Grande Porte obtenue ce jour. Nous vivons une époque où le fait que le public puisse demander majoritairement une oreille de chaque toro, sans que la presidence ait le choix de nuancer l’octroi d’une Puerta Grade qui se profile. La solution serait de modifier la règle applicable à Las Ventas pour exiger de couper 2 oreilles à un même toro pour mériter la Grande Porte.
René Arneodau