L’histoire du jour est celle de Victorino Martin dont la corrida sera une référence pour l’avenir. Elle marque le basculement de l’époque de Victorino Père, un monstre et un visionnaire de l’élevage du toro brave, vers celle du fils qui vient en gestation depuis plusieurs années. L’avenir dira si la nouvelle philosophie aura autant de succès que la précédente. Bien que moyennement présentée dans l’ensemble, le lot d’aujourd’hui a fait étalage de caractéristiques permettant le bon toreo que chacun des trois toreros a exprimé dans son style. Manuel Escribano qui avait été à l’origine de l’indulto de Cobradiezmo en 2016, a triomphé aujourd’hui face à un de ses fils de nom "Patatero" nº 69, cárdeno, 505 kg. né en décembre 2017, lors de son second combat. Devant tant de qualité, on s’interroge si le toreo marginal appliqué durant une partie non négligeable de la faena doit être considéré comme un recours technique approprié aux circonstances, ou si plus d’orthodoxie aurait fait honneur au toro, comme ce fut le cas dans deux cambios de mano liés aux passes de poitrine. La faena n’aurait-elle pas pu être construite sur de telles bases ? Le public a conclu que la faena valait deux oreilles et un triomphe retentissant.
Ovation pour Manuel Jesús "El Cid" pour marquer son retour aux ruedos après une courte retraite. Son premier victorino charge, avec noblesse, la cape méthodique du Cid dans des attaques qui vont a menos et annoncent une certaine faiblesse. Celle-ci se confirme dans la prestation face au cheval, en deux piques mesurées et subies. Brindis au public. Les premiers muletazos de tanteo annoncent une charge à la "Mexicaine" dont El Cid profite à gauche avec simplicité et douceur, accompagné de olés. La charge est molle et la tête du bicho est haute en sortie des naturelles suivantes. À droite, El Cid torée a más en tenant son terrain et en provocant fermement la charge. Musique. Le toro passe à droite sans éteincelle mais le public est avec le matador. El Cid poursuit à gauche en étant meilleur que son opposant y compris dans les adornos de fin de faena. 3/4 d’épée trasera, desprendida et tendida. Descabello. Quelques sifflets au toro, légère pétition et vuelta pour le torero de Salteras (Séville).
El Cid est mis en difficulté par les premiers assauts de son second adversaire qu’il accompagne au centre. Le toro pousse sous la première pique puis gratte le sol (escarba). Mis devant le cheval par El Cid, il s’emploie de nouveau. Enorme prestation de José Luis López "Lipi" aux banderilles qui salue après avoir été sauvé par un quite providentiel d’Emilio De Justo. Les premières naturelles de la faena vont a más avec un toque suave, idoine pour tel opposant. Musique. La série suivante va de mas a menos avec deux naturelles supérieures. À droite, le bicho est court et oblige son matador à bouger. C’est à gauche que le Cid s’exprime le mieux avec un toro qui alterne charge longue et courte. Estocade entière, contraire et atravesada. Oreille et applaudissements au toro.
Manuel Escribano voit son premier victorino, cinqueño, freiner, "humilier" et fléchir dans une cape plus de brega que d’adorno. Peu entreprenant au cheval, le toro en sort néanmoins affaibli. Escribano se charge du second tercio, cuarteando trois fois avec aisance et recevant l’ovation. Le début de faena est exécuté après tanteo, sur la corne droite. L’animal se retourne dans les chevilles. Escribano allonge le bras et tire le victorino. A gauche, le retour du bicho est encore plus rapide et le trasteo devient une lutte que le matador poursuit à droite avec technique de recours appropriée et l’approbation du public. Le toro refuse de passer sur la gauche. La bagarre se termine sur la corne droite avec une série efficace. Épée très trasera et desprendida. Sifflets au victorino, palmas et salut pour le torero.
A puerta gayola pour la larga cambiada à genoux, Escribano est désarmé une fois debout, puis revient pour des véroniques suaves a menos car le toro raccourcit sa charge. Celui-ci, mal piqué, pousse sous le peto par deux fois. Banderilles à charge du matador qui s’exécute avec professionnalisme et efficacité, la troisième paire en citant assis sur l’estribo - al sesgo por fuera - avec une course poursuite postérieure à une pose dans le berceau. Brindis personnel. Les premières charges de l’albaserrada sont prometteuses lors du tanteo de Manuel Escribano. Dans les derechazos, ceci se confirme, la charge est somptueuse au ras du sol. Les passes sont lentes mais distantes, à corps penché. À gauche, la main basse et l’"humiliation" du toro rendent sa charge fébrile. Sur la corne gauche, le matador torée plus vertical avec un positionnement plus orthodoxe. Un retour à droite lui permet de dessiner une série rythmée avec toques por fuera avec lesquels il allonge la trajectoire. Dans la série suivante, il se redresse dans un cambio de mano "como dios manda" et une passe de poitrine des plus artistiques. Ravi, il répète l’exercice à la grande joie du public accompagné de la musique. La fin de faena donne des moments brouillons qui pourraient être interprétés comme un manque de domination de l’opposant. Entière trasera, caída et atravesada. Avis lorsque le toro meurt, bouche fermée. Deux oreilles demandées et accordées. Vuelta al ruedo pour "Patatero".
Les véroniques de réception et la demi-véronique d’Emilio de Justo, sur jambe pliée, déclenchent les "bien!" de la Maestranza. Sont applaudis les delantales de mise en suerte au cheval par le matador. La prestation du toro au cheval est anodine comme celle du varilarguero. Brindis à El Cid. Le tanteo révèle une charge à tendance courte. De Justo tatone à gauche avant de dessiner des naturelles splendides, en deux séries, avec un placement engagé et irréprochable, ainsi que des toques précis. Musique. À droite, la charge est plus brusque et moins maîtrisée par le matador qui ne trouve pas la clé qui aurait permis un triomphe a lo grande. Un retour à gauche est interrompu par un accrochage et changement de muleta mais la suite renoue avec un trasteo supérieur bien qu’un ton en dessous des passages antérieurs sur la même corne. Estoconazo. Oreille importante.
Le sixième victorino sort en piste dans le bourdonnement des tendidos suite au triomphe d’Escribano. Emilio de Justo reçoit sa charge violente avec précaution et mène le toro au centre après une vuelta de campana. Le bicho pousse sous une première pique très en arrière. Il trébuche à plusieurs occasions après la cabriole et s’endort lors de la seconde pique. Le public proteste. Brindis de responsabilité au public. Les doblones portent sur le bicho qui titube autant que sa charge est vive et qu’elle transmet. Dans les premiers derechazos, al hilo, le toro prend le dessus. La seconde série est une bagarre à égalité des combattants. De Justo cherche à dominer mais les trébuchements du bicho retardent l’éclosion de la faena. Elle intervient en fin de troisième série droitière sur les derniers muletazos. Musique. Le passage suivant à droite est le meilleur jusque-là, avec un positionnement hors de la trajectoire. À gauche, le victorino se retourne en cours de passe. C’est alors, à droite, que le matador ponctue la bataille en usant du recours des toques lointains. Deux pinchazos et entière. Ovation après avis.
René Arneodau.
Photos: Empresa Pagés