La corrida de Santiago Domecq rappelait, s’il en était besoin, que les toros sont la pièce maîtresse de tout spectacle tauromachique et la course vécue en ce dernier jour de mai en est l’exemple même. Bien entendu, il faut en face des toreros qui soient à la hauteur, préparés et résolus à affronter la bravoure des toros avec ce que cela comporte de risques, de satisfaction et de gloire, même éphémère, comme celle vécue par Fernando Adrián qui, en coupant une oreille à chacun de ses toros, sortait par la Grande Porte de Las Ventas. Ses compagnons de cartel furent aussi les acteurs d’une soirée pleine d’émotion: Arturo Saldivar, Mexicain qui revenait à Madrid depuis sa dernière actuación en 2015 et Álvaro Lorenzo, le torero tolédan, classique et habitué de la San Isidro. Les toros de Santiago Domecq ont la réputation, malgré le nom de leur propriétaire, de se distinguer d’“autres” d’origine JP Domecq, par leur typologie, héritage de Torrestrella, Jandilla, Carlos Nuñez et JP Domecq Solis, qui les caractérise et les fait moins “attractifs” pour les vedettes actuelles. De présentations variées, des cornes et de poids allant de 540 à 599 kg, certains furent protestés pour leur encornure modérée (les 2ème et alors que d’autres étaient applaudis pour leurs cornes démesurées qui “cachaient” le reste de leur anatomie (les 1er, 3ème et 6ème) Les variétés de comportemet du lot d’aujourd’hui ont permis aux toreros de briller, selon leur propre talent ou lacunes, et de rendre cette corrida, à ce jour, une des plus intéressantes de la San Isidro 2023.
Arturo Saldivar ne pouvait pas garder le premier santiago.domecq dans la cape. Après la première pique, arrière, de laquelle le toro sortait suelto, il le “citait” de loin, du centre de la piste, pour une espaldina, donc de dos. Il souffrait de la sorte une forte voltereta, de plein fouet, dont il sortait indemne. Première émotion. Les chicuelinas qui suivaient et la demi-véronique montraient que le torero avait repris ses esprits. Le toro continuait suelto après la deuxième pique. La faena de muleta commençait par un nouveau défi du Mexicain, à genoux pour une tobalina, et debout, à gauche, le toro se “collait” de telle sorte qu’il devait prendre la muleta de la main droite pour une série de derechazos, liés. Le toro, tardo, néanmoins, chargeait ensuite avec vigueur. Une passe dans le dos intercalée à des derechazos apportait, s’il le fallait encore, de l’émotion. Une tentative à gauche confirmait la tendance du toro à “se mettre dedans” de ce côté. De nouveau sur la droite, les passes en redondo étaient du meilleur effet et surtout de meilleure qualité, mais après, le toro menaçait de rajarse et se jettait sur le torero, abstraction faite de la muleta. Donc, autre cogida qui déséquilibrait Arturo Saldivar qui s’en tirait une nouvelle fois sans mal! Estocade trasera, caída. Le 4ème, protesté à sa sortie du toril, basto de hechuras, débordait dans un premier temps Arturo Saldivar. Suerte de varas insignifiante. La faena débutait par des passes hautes, une de costadillo. Pour premières passes de la droite, après un cite à distance, le toro “humiliait” mais relevait la tête en fin de muletazos. Ceux-ci s’amélioraient, muleta basse dans les séries suivantes, certains “templés” autres en redondo. Sur la gauche, le torero se faisait déborder mais aussitôt se reprenait pour de bonnes naturelles. Des accrochages de muleta…, des manoletinas , un molinete et la passe de poitrine étaient le point final d’une faena où le toro avait pris le dessus du trasteo du Mexicain.
Fernando Adrián avait remporté le titre de la Copa Chenel 2021 et confirmé l’alternative l’an dernier après neuf années de matador de toros sans beaucoup ou pas du tout de contrats. Son passage à la San Isidro, aujourd’hui será sans doute son jour de gloire, car il sortait de Las Ventas par la Grande Porte après deux faenas vibrantes et l’octroi d’une oreille à chacune d’elles. Son premier santiago-domecq, de belle robe et trapío, estrecho de sienes, pour cela protesté…! était reçu par deux faroles de rodillas au fil des barrières et, debout, par des véroniques et revolera. Ce toro avait un bon tranco… mais sous la pique il reculait… sans être vraiment piqué. L’émouvant brindis à sa mère, spectatrice du T10, précedait des statuaries agrémentées d’une passe dans le dos. Devant un toro de charge courte, et avisé, la faena se déroulait néanmoins dans une bonne attitude, jambe contraire avancée, de trois-quarts, alors que le toro dans un cabeceo dans la muleta ou bien de charges courtes ne facilitait pas l’exécution des passes et leur enchaînement. Les bernadinas finales, “changeant le voyage”, ajoutaient de l’intensité à la faena. Une estocade légèrement tombée roulait le toro contre les planches. Pétition d’oreille, accordée. Le 5ème, de nom “Contento” nº 14 de 599 kg. né en noviembre 2018, ne montrait rien d’extraordinaire à son entrée en piste. Il était bien piqué par Alberto Sandoval, la deuxième puya sans pénétrer… Le toro bougeait beaucoup et animait le tercio de banderilles. Les deux péndulos à genoux et les passes en redondo en naturelles qui suivaient enseignaient les intentions de Fernando d’aboutir le succès obtenu précédemment. Le toro “humiliait” dans les naturelles suivantes avec pour remate le pase del desdén (pour mes voisins mexicains…). Sur la droite, une série compléte, torero se livrant à fond et toro chargeant avec vivacité et classe. Un changement de main pour terminer la série de derechazos par des naturelles, le tout lié, produisait un grand effet sur le public conquis. Le desplante après une serie de doblones mettait le point final à la faena de muleta. Un metisaca faisait craindre le pire mais aussitòt Fernando Adrián se jettait sur le garrot pour une estocade desprendida. Le toro mourrait en brave!! La vuelta al ruedo s’imposait malgré le bémol de la suerte de varas très discrète. Une oreille, évidemment.
C’est au 6ème qu’Álvaro Lorenzo allait ajouter une facette à son talent celle de la vaillance car après avoir “cité” de la gauche depuis le centre du ruedo un toro très armé, réfugié devant le burladero du T1, et l’avoir passé à grande vitesse, sur le retour il recevait une cornada à la cuisse gauche. Il se relevait comme si de rien n’était et continuait par des derechazos à la suite desquels le toro fléchissait des pattes avant. En le toréant à mi-hauteur, cette faiblesse disparaissait aussi en changeant de terrain. La muleta basse, les derechazos et naturelles se succédaient, avec temple et charge du toro plus tempérée aussi. Àlvaro terminait par un ayudado por alto pour enchaîner des naturelles avec torería. Le toro faisait mine de rajarse mais il était gardé dans la muleta, tirant du toro dans le tercio maintenant. Des doblones et pase del desprecio. L’estocade roulait le toro. Pétition d’oreille non satisfaite mais vuelta al ruedo en prime et méritée. Au 2ème, Álvaro Lorenzo signait les meilleures véroniques de cette corrida, du temple et gagnant du terrain jusqu’au delà des lignes. La faena se déroulait par des passes des deux mains avec la caractéristique que les premières des séries étaient exécutées en ligne ou pa’ fuera mais ensuite plus serrées avec mando et terminées derrière la hanche. De la pure technique. Le toro réduisait son rythme de charge et terminait grattant le sol. Un pinchazo, une estocade tendida et trasera. Un avis. Ce toro avait produit un combat honorable à la pique, bonne charge et corne gauche poussant dans le peto. Aux banderilles, une fois de plus, Curro Javier, excellait dans cet exrecice en donnant tout l’avantage au toro avant de clouer.
Arturo Saldivar: saluts; un avis et silence. Fernando Adrián; un oreille; une oreille. Puerta Grande. Álvaro Lorenzo: un avis et silence; vuelta al ruedo. Blessé au 6ème, Álvaro Lorenzo passait à l’infirmerie où il était intervenu pour une cornada de 15 cm qui traverse la cuisse gauche, qui affecte les muscles adducteurs. Opéré et transferé à la Clinique Fraternidad Muprespa. Pronostic reservé. Le toro “Contento” était primé de la vuelta al ruedo. Toros pour la plupart ovationnés à l’arrastre. Curro Javier devait saluer après la pose des banderilles au 3ème, et pour la brega au 6ème; Raúl Ruiz devait saluer au 6ème. Tous deux de la cuadrilla d’Alvaro Lorenzo. A noter: le mayoral de Santiago Domecq obligé de saluer au terme de la corrida. |
Georges Marcillac
Photos de Plaza 1