La commémoration du centenaire de la mort de Joselito El Gallo - voir mon article du 28 janvier 2020 - a donné lieu, à Madrid, à toutes sortes de manifestations jusqu’aux premiers jours de mars malheureusement interrompues par l’Etat d’Urgence Sanitaire et le confinement qui s’ensuit, dû à la pandémie du Covod-19 aussi bien en France qu’en Espagne. Toutefois la Peña Taurina de Madrid «Los de José y Juan» pouvait aller jusqu’au terme du cycle des conférences programmées tout au long du mois de février consacrées à Joselito El Gallo Son président, Andrés de Miguel, était par ailleurs sollicité par d’autres associations taurines pour disserter au sujet de la figure du « Roi des Toreros » et c’est le Club Taurin de Paris qui accueillait, jusqu’à ce jour, la dernière conférence «joselitiste» avant l’annulation de toutes les manifestations et ferias taurines pour éviter que se répande l’épidémie.
Les conférences de la Peña "Los de José y Juan" avaient pour cadre la Salle Antonio Bienvenida de Las Ventas. Les aficionados avaient répondu en masse les cinq samedis de février autour des thèmes relatifs à la vie, la personnalité et l’apport de Joselito à la tauromachie. La qualité des invités et leurs exposés méritaient un tel engouement. Luis Francisco Esplá était l’un d’eux et, avec la complicité du professeur Andrés Amorós, il développait l’idée du toreo que représentaient Gallito et Juan Belmonte dans cette période de l’Âge d’Or : le premier fut le torero logique, technique, dominateur, éthique ; le second fut le torero magique, pathétique et immobile face au toro, créateur d’une nouvelle esthétique. Selon Gregorio Corrochano - critique taurin et essayiste du journal ABC (1882-1961) - Joselito avait élevé le toreo classique au niveau d’une science. Quant au «Pasmo de Triana», il avait attiré les intellectuels et artistes de l’époque qui voyaient en lui le révolutionnaire, qui jouait avec la beauté et la mort. Le destin en décidait autrement puisque Joselito mourrait sous les cornes de Bailador, alors que Belmonte lui survivait jusqu’à flirter avec la mort jusqu’à son suicide en 1962.
Un autre duo important des conférenciers était celui formé par José Morente, auteur du blog La Razón Incórporea et Paco Aguado, auteur de la biographie «Joselito El Gallo El Rey de los Toreros» (Espasa Calpe – 1999) (*). Chacun à sa manière, ils argumentaient le rang occupé par Joselito dans l’Histoire du Toreo. En s’appuyant de documents anciens et extraits de vielles pellicules, José Morente montrait ou plutôt démontrait le style occulté, pourrait-on dire, de Joselito qui serait ainsi l’initiateur du toreo en redondo, précurseur du toreo moderne. Paco Aguado précisait dans son exposé que, du moins à partir de cette époque, sans le grandiose torero que fut Juan Belmonte, le toreo n’aurait pas évolué. En réalité les styles antagoniques de Joselito et Belmonte, de conceptions différentes, finiraient par se fondre l’un dans l’autre et c’est dans la symbiose des deux que naitrait véritablement le toreo moderne. Paco Aguado insistait sur le retard qui avait été pris pour replacer Joselito dans l’Histoire du Toreo, jusqu’alors accaparée par la vie de Juan Belmonte et sa biographie romancée de Manuel Chaves Nogales parue en 1935. Hormis les écrits de « Don Pío » du vivant de Joselito (Joselito Maravilla- 1914) ou juste après sa mort, ceux de García Poblaciones (Notes critique-biographique-statistiques de José Gómez Ortega - 1920), ce n’est qu’en 1953 que paraissait de la plume de Gregorio Corrochano le bien connu essai ¿Que es torear? Introduction à la tauromachie de Joselito. La lecture de ces ouvrages n’apporte pas les éléments qui permettaient, alors, d’identifier les styles respectifs des deux Sévillans. Dans ces conditions, il est naturel de mettre un bémol aux louanges hyperboliques, sans pour autant les minimiser, dédiés à l’un ou à l’autre, dans la relation des succès de Joselito et Belmonte. Leurs différences étaient d’ailleurs mises à profit dans l’organisation de nombreux mano a mano de 1915 à 1920. Bien peu détails critiques et techniques apparaissaient dans les reseñas des journalistes des deux camps. Il faut toutefois recourir à des documents anciens ou livres plus récents pour juger de l’opposition qui existait entre les deux tauromachies et les deux personnalités de José et Juan. Il était naturel, en cette année de commémoration, de mettre l’accent sur la vie, la place dans l’Histoire du Toreo de Gallito, son influence sur le futur de la Fiesta, enfin sa tauromachie considérée comme l’amorce et origine du toreo moderne. Il est commun de reconnaître Joselito comme le torero suprême, celui qui domine, maîtrise toutes sortes de toros et qui n’a aucun équivalent en son temps puisqu’il défie aussi bien les anciennes gloires, obligeant «Bombita» et «Machaquito» à se retirer en 1913 dès après son alternative, que les nouveaux matadors pour conserver le sceptre de «roi des toreros» jusqu’à l’apparition de Juan Belmonte en 1913. Ce dernier, le révolutionnaire ou le «révélateur» comme le désigne Luis Bollain (1908-1989) sera le seul et unique compétiteur à la suprématie de Joselito.
Il est curieux de constater que la confrontation entre Joselito et Belmonte perdure de nos jours, opposition évidente de styles bien sûr aussi traduite dans la démesure des luttes dialectiques de leurs partisans respectifs d’antan … et d’aujourd’hui. A l’orée de l’Âge d’Or, le toreo se définissait selon deux concepts de la Cada toro tiene su lidia: expression par laquelle il est précisé que les conditions de chaque toro sont différentes, en conséquece, les diestros devront en connaître les réactions pour pouvoir briller.