Séville - 5 mai 2025 - 10e de Feria - Une oreille pour chaque matador, celle à Morante de la Puebla, hors catégorie.

Lot de Hermanos García Jiménez (1 à 4) et Olga Jiménez (5 et 6), diversement présenté, oscillant entre correct et médiocre. Le lot de triomphe fut celui de J.M. Manzanares, qui avait en main les clés de la Puerta del Príncipe, non pas parce que le président a refusé la pétition, mais parce qu’il n’a pas su miser sur le fondamental en cette occasion. Entre la tauromachie de José María Manzanares et Alejandro Talavante et celle de Morante de la Publa, il y a un monde, qui ne réside pas dans l’esthétique, mais précisément dans le fondamental : placement, présentation du leurre et conduite de la charge. Le voir et le comprendre, c’est accéder à une vérité que peu de toreros ont offert à la tauromachie, à l’image de José Tomás. Morante apporte au fondamental une dimension supplémentaire : l’esthétique et la créativité.

Photo : Glez Arjona (Aplausos.com)

Morante de la Puebla, en tanteo à son premier toro d'abord et conclusion par une demi-véronique ajustée. Le toro se vide de sa substance face au cheval et est renvoyé au corral.
Le sobrero du même hierro, toro joli, réfléchit longuement avant de livrer bataille. Morante va à sa rencontre et dessine deux véroniques de sa signature après un tanteo, avant que le bicho ne plante ses cornes dans le sol, mettant son maître en difficulté. L’épreuve du fer, mal menée, révèle un toro volontaire qui pousse, mais sort affaibli. Le second passage est purement formel. Début de faena par des ayudados par le haut, suivis d’un pase del desprecio et pase de pecho. La série à droite est impeccable d’exécution face à la transmission du toro. La série suivante à droite atteint une immense profondeur, avec des trajectoires exigeantes en courbe. Musique. À gauche, le toro s’ouvre vers l’extérieur accompagné d'un calamocheo, d’où des accrochages de muleta. Avec douceur, le matador insiste longuement pour dessiner trois naturelles de qualité, isolées dans l’ensemble. Une nouvelle série droitière conclut le trasteo, un ton en dessous de la série précédente. Avant l’épée, Morante signe quelques derechazos, faisant fi des scories de la charge. Avis avant un pinchazo, suivi d’une épée caída et atravesada. Ovation et salut.

Le second toro de Morante, haut, fin et anovillado, ne se laisse pas fixer aux lances avant les piques. L’animal pousse longuement sous les deux piques. João Ferreira brille aux banderilles. Morante débute par des ayudados profonds, extrêmement serrés. Les derechazos sont dominateurs, ajustés et profonds. Musique. Le toro baisse de régime, et la suite perd en intensité malgré quelques muletazos de qualité. Sur la corne gauche, le matador "cite" de face ou de trois-quarts. La série suivante à gauche est d’une sincérité absolue dans le placement et le cite. De nouveau à droite, les passes manquent de limpidité, mais sont exécutées avec la même sincérité et profondeur. Entière desprendida, en décomposant les temps de la suerte et en plaçant la muleta sous le museau. Avis. Oreille de poids.

Photo : Glez Arjona (Aplausos.com)

José María Manzanares affronte un premier adversaire terciado, lavado de cara, anovillado. Il lui sert des véroniques mécaniques, accélérées et sans âme. Épargné lors de la première pique, l’animal contourne la monture au second passage. Quite de A.Talavante par gaoneras, saltillera et double remate. Le tanteo habituel de Manzanares débouche sur une série droitière courte et liée, qui plaît aux tendidos. Il poursuit avec une série plus longue dans le style maison, citant sur l’œil contraire et positionné al hilo ou hors trajectoire. Musique. La série suivante, courte, est cette fois ajustée, pieds joints. À gauche, le torito accroche la muleta, et la série est entrecoupée. Le matador continue à droite, acceptant les changements de rythme du toro, qu’il solutionne par des redondos enroulés. À partir de là, le toro flanche, et le torero met fin au trasteo. Épée très défectueuse, trasera, caída, tendida, mais d’effet rapide, adoubée par un public peu éclairé qui demande l’oreille, accordée.

Le cinquième charge la cape de Manzanares avec rythme, ce qui permet à ce dernier de dessiner des véroniques et une demi-véronique "templées". Le tercio de varas voit le toro aller a menos et rompre lors des deux passages. Le début de faena à droite est accéléré et brusque. Le passage à gauche, en deux tandas, est nettement meilleur, tant en rythme qu’en esthétique. Le corps est vertical, et les trajectoires sont courbes. Musique. La suite droitière renoue avec les scories déjà mentionnées, sauf dans le cambio de mano. C’est à gauche que le matador conclut, sans retrouver le niveau atteint précédemment sur cette corne. Pinchazo en passant au large, suivi d’une entière trasera. Longue agonie d’un toro qui méritait d’offrir ses oreilles au triomphe, compte tenu de ses charges de classe particulièrement sur la corne gauche. Appalaudissements au toro et salut.

Photo : Glez Arjona (Aplausos.com)

Alejandro Talavante voit son premier toro protesté pour sa présentation peu harmonieuse : capacho, bizco,  brocho de la corne droite et un trapío limité. Le toreo de cape est plus probatoire qu’artistique. Mal piqué, le toro ne brille pas sous le fer. Cornada à Javier Ambel, qui, voulant briller, a laissé le toro le charger vers les planches lors de sa seconde pose. Le tanteo de Talavante est suivi d’une série droitière Look forward to crushing it! liée. La charge est vive et profonde. La suite sur la même corne est entrecoupée et dessinée al hilo. Sur la corne gauche, Talavante doute face aux regards inopportuns du bicho. Il fait ensuite l’effort dans une série, avant de revenir à droite. Là encore, le toro regarde le torero, qui met fin rapidement à la faena. Épée caída. Silence.

Talavante accueille le dernier par un farol, des cordobinas à genoux, des véroniques, des chicuelinas et une demi-véronique. La quantité compense ici l’absence de profondeur. Les piques ne mettent pas en valeur la bravoure, absente chez ce bicho. Brindis au public. Depuis le centre, Talavante "cite" à genoux, muleta à droite, avec un cambio por la espalda et une arrucina. Il enroule à droite face à une charge molle. Musique. À gauche, l’embestida est plus intense, et le torero tient le coup sous le calamocheo du toro dans la muleta. Depuis une position fuera de cacho, il enroule brièvement à droite et obtient une ovation dans un cambio de mano réalisé en redondo. Lorsqu’il poursuit à gauche, le toro montre des signes d’abandon. Talavante insiste, profitant de cites alternés de la droite et de la gauche vers les planches. L’hystérie éclate lors du lancer de la muleta au sol. La plaza, dans une ambiance de pueblo, chante "Torero". Entière contraire et atravesada, en entrant lentement. Oreille, avec une forte pétition pour la seconde, qui aurait été scandaleuse.
René Arneodau 
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