Les effets de la pandémie de la Covid-19 sont dramatiques et dévastateurs. Après plus de deux mois de confinement les économies nationales de la France et de l’Espagne vont mettre du temps à s’en remettre et les inquiétudes pèsent sur différents secteurs de la société, les plus défavorisés et démunis, devant l’absence de recours pour être soulagés ou même sauvés de la pénurie qui les submerge. Le monde taurin – puisque c’est cela qui nous occupe dans cette colonne – n’est évidemment pas épargné et le coup porté par l’arrêt de la temporada est une cogida qui laissera des séquelles ou nécessitera une longue récupération… pour donner un simili de parte facultativo, rapport des médecins des arènes. Les animaux de lidia restent à profiter de l’herbe abondante de ce doux printemps, les toreros et autres métiers des services d’arènes sont au repos et chômage forcés. Ce petit monde, le mundillo – le « petit » n’est pas péjoratif car, à l’inverse, Antonio Díaz-Cañabate (1897*1980) le désignait comme « El Planeta de los Toros » - s’est réveillé, attaqué de toutes parts, la pandémie ayant été le révulsif pour une prise de conscience des problèmes du secteur taurin et l’obligation à une restructuration.
En Espagne ces problèmes sont d’ordre politique, économique et structurel. La situation est critique. Voyons l’aspect politique de la question. Au sein du gouvernement actuel de coalition progressiste présidé par Pedro Sánchez se trouvent quatre ministres d’Unidas-Podemos qui regroupe deux branches du communisme où se mêlent toutes les tendances y compris les écologistes et animalistes. N’a-t-on pas nommé le 30 janvier dernier un Directeur Général de Derechos de los Animales (sic) ??. Ce directeur dépend du Ministère des Droits Sociaux et Agenda 2030 dont le titulaire est Pablo Iglesias, leader de Podemos qui a déclaré récemment au Sénat qu’il se sentait «énormément incommode» de la pratique taurine qui dépend du Ministère de la Culture… A l’opposé de la gauche progressiste, se trouve VOX un nouveau parti issu de la droite traditionnelle espagnole qui par ses idées ultra-nationalistes défend la tauromachie et se place dans bien des cas le porte-parole des intérêts des toreros, ganaderos et autres agriculteurs Sans qu’il soit officiellement mandaté par tout ce monde, il donne en fait l’image, et la conforte, que la tauromachie est «de droite» et lui porte préjudice bien que, parfois, les revendications proclamées soient justes. La corrida de toros est foncièrement démocratique - origines populaires et présence du public souverain sur les gradins des arènes - et ne devrait pas être à la merci de quelque idéologie radicale intolérante ni d’une autre exclusive et ultra traditionnelle.
Et l’aspect économique ? Le 5 mai, le Ministre de la Culture, José Manuel Rodríguez Uribes, dévoilait les aides dont le secteur culturel espagnol – cinéma, théâtre, livres, cirque, beaux- arts, etc. - allait bénéficier sans nommer la tauromachie qui, par la loi, est sous sa tutelle. (Décret-Loi 17/2020 voté le 21 mai par le parlement espagnol). A cause du confinement et des mesures prises par le gouvernement pour le déconfinement progressif et territorial, les premières grandes ferias de printemps - Fallas de Valence, d’Avril de Séville, de San Isidro de Madrid – ont été annulées et ont suivi, en grande partie, celles d’été (de même qu’en France) de telle sorte que tout le secteur taurin est à l’arrêt et beaucoup de professionnels sont sans ressources ni protection sociale. La dernière crise économique, financière celle-là, avait déjà mis mal l’organisation de corridas. Celles qui avaient le plus diminué, et pour ainsi dire disparu, sont les corridas dans les arènes de 3ème et 4ème catégories – beaucoup de novilladas – dont la plupart dépendaient du budget attribué aux fêtes locales et qui se sont vues supprimées par réductions de crédits et, dans bien des cas, de l’opposition des écologistes-animalistes en coalition avec d’autres formations politiques à la tête des municipalités. Au plus haut de l’échelle, certaines empresas, toreros de premier plan et élevages «commerciaux» pourront résister, mais ce n’est pas le cas des entrepreneurs-organisateurs occasionnels et beaucoup de novilleros et subalternes qui seront en difficulté ainsi que beaucoup d’éleveurs de toros de lidia au bord de la faillite forcés d’envoyer leur bétail à l’abattoir.
La conséquence de tout ce qui précède est que le mundillo s’est réveillé. La Fundación del Toro de Lidia (FTL) créée en 2015, dont le président est Victorino Martín García, fédère les différents segments de la tauromachie en Espagne et s’est érigée en défenseur des attaques dont elle est victime. Face aux difficultés auxquelles s’exposait le monde de la corrida et fêtes taurines populaires, la FTL lançait «37 mesures pour affronter les conséquences de la Covid-19» et adressait le dossier au Ministre de la Culture. A la suite de l’omission et mépris du secteur culturel taurin pour les aides annoncées le 5 mai dernier, une vague de protestations jamais égalées de la part des taurinos et un hashtag #MinistroDeCensura étaient diffusés demandant la démission du ministre Rodríguez Uribes pour «discrimination». Les toreros figuras se réunissaient en vidéo-conférence pour analyser la situation et lançait le slogan NO SE CENSURA LA CULTURA avec le double sens de leur visage et masque.
Pendant ce temps diverses initiatives prenaient corps dans les Communautés Autonomes (équivalentes à nos régions en France) comme celle d’Andalousie dont le Conseil d’Affaires Taurines d’Andalousie (CATA) qui établissait un règlement temporaire ajusté aux conditions de la pandémie pour réduire les coûts et s’ajuster à l’économie des spectateurs et empresas 1) organisation de corridas dans des places de toutes catégories ; 2) 30% de spectateurs en fonction de la capacité ; 3) chaque matador aura pour cuadrilla un picador, deux banderilleros, un mozo de espadas et un picador de réserve commun ; 4) deux paires de banderilles maximum pour chaque toro ou novillo ; 5) trois chevaux de picadors ; 6) le règlement taurin d’Andalousie reste en vigueur hormis les mesures précédentes. Immédiatement se sont élevées les voix contre cette ébauche règlement, en premier les syndicats de banderilleros et picadors (UNPBE et ASPROT) qui refusaient la réduction des cuadrillas, en second de quelques matadors – Cayetano Rivera, Sébastien Castella, « Rafaelillo » et d’autres – qui repoussaient également cette réduction. Un communiqué de l’UNPBE faisait savoir que les subalternes accepteraient une baisse de 20% de leurs honoraires. Par ailleurs, la ANOET – Asociación Nacional de Organizadores de Espectáculos Taurinos - se proposait d’organiser huit corridas en Andalousie. Les présidents des communautés autonomes de Castilla-La Mancha et d’Extremadura (ces présidents sont socialistes) se sont réunis avec un Comité de Crise (*) en s’engageant à faciliter l’organisation de spectacle taurins et défendre les industries économico- culturelles taurines. Il va sans dire que sur les réseaux sociaux les commentaires sur toutes ces affaires allaient bon train lorsque ne se mêlaient pas les anti’s qui n’économisaient ni leurs commentaires radicaux, ni leurs insultes car, évidemment, ils trouvaient l’occasion de voir renforcés leurs souhaits de voir disparaître la tauromachie à la faveur du coup porté par la Covid-19. La FTL, sous l’égide de Juan Pedro Domecq, préparait le programme d’un « Circuit Mondial de Novilladas » qui apparemment ne pourra être mis sur pied cette année. Antonio Bañuelos, nouveau président élu de l’UCTL - Unión de Criaderos de Toros de Lidia – réclame, lui, pour la tauromachie une auto-suffisance, une auto-financiation ce qui va évidemment dans cet esprit et objectif de restructuration du monde taurin sans vraiment attendre une quelconque subvention - non plus existante actuellement - de l’administration centrale. Toutefois les mesures de relâchement des contraintes sanitaires, de déplacement et de réunion liées au coronavirus font germer l’espoir d’une reconnaissance des droits de la tauromachie et des aficionados et surtout la possibilité de voir à partir d’août?, septembre et octobre annoncer des programmes et cartels de corridas.
Toutes ces initiatives convergent vers une prise conscience pour restructurer l’économie et l’organisation des spectacles taurins et surtout pour rendre visible toutes les activités associées qui génèrent des emplois, des ressources financières, préservent l’environnement et qui alimentent le divertissement et la passion de plus de 10% de la population espagnole sans compter les nombreux visiteurs étrangers. C’est aussi l’opportunité de réclamer ce qui est dû aux professionnels du spectacle taurin qui ne doivent pas être discriminés dans leur fonction et leur dignité pas plus que les aficionados et spectateurs qui, par leur passage aux guichets, soutiennent en premier l’économie de la Fiesta de los Toros.
DERNIÈRE MINUTE : Le Ministre Rodríguez Uribes comparaissait aujourd’hui devant la Commission de Culture et Sport du Congrès des députés et n’a pas omis cette fois de mentionner la tauromachie dans les mesures prises en sa faveur au sein des autres secteurs culturels affectés par la Covid-19. Il a été, en particulier, décidé de « réviser les critères et possibilités, en les améliorant, des festivals d’été et corridas de toros pour qu’ils reviennent le plus tôt possible à la normalité, a la temporada, avec toutes les garanties et avec la normalité maximale». De même, promesse a été faite d'une prochaine reunión avec la FTL et le Ministère de la Santé pour étidier les conditions à remplir pour le retour de l'ouverture des arènes (distance sociale... les fameux 9m2 repoussés par tous. NDLR). D’autre part, les sociétés organisatrices de spectacles taurins pourront faire appel au fond de liquidité CREA pour un total de 40 M€ pour le secteur taurin, pour un prêt de quatre ans et un délai de carence de 18 mois. Néanmoins il «passait la balle» aux communautés autonomes et municipalités compétentes pour «aider, compenser et palier aux dégâts» des effets de la Covid-19.
A suivre…
(*) Comité de Crise avec en tête Victorino Martín, Cayetano Rivera, Miguel Ángel Perera, Antonio Barrera, « El Juli » avec le Président d'Extremadure Guillermo Fernández Vara.
Georges Marcillac