En cette avant-dernière corrida de Feria un évènement majuscule a eu lieu avec comme protagoniste Morante de la Puebla. Nous étions nombreux à nous demander pourquoi il s’annonçait avec des Torrestrellas qui n’avaient pas le "track record" pour justifier tel honneur. Et bien cette inquiétude s’est confirmée et c’est avec un toro de Garcigrande que le miracle s’est produit. En une faena, Morante de la Puebla a renvoyé tous les journalistes à leurs études pour distinguer la vrai valeur des superlatifs utilisés jusqu’à ce jour durant la Feria de Séville. Ils ont été tellement galvaudés en d’autres circonstances qu’on ne sait plus ce qu’ils pourront dire à propos du vécu cette journée. Et pour ceux qui ne comprennent pas pourquoi ce qu’a fait Morante est tellement superbe, le problème n’est pas une question d’affinité avec le toreo de Morante, mais une incompréhension des préceptes et critères fondamentaux du toreo. Ce que Morante a créé aujourd’hui est une oeuvre d’art à la technique que peu de toreros sont capables de prodiguer.
Le lot de Torrestrella a été tout simplement médiocre dans tous ses aspects.
Le toro d’alternative de Manuel Perera , terciado, est reçu par à genoux par véroniques, puis debout dans un style électrique et brouillon. Piqué trasero, l’animal pousse brièvement avant de subir. Il sort de l’épreuve affecté. La seconde pique est un simulacre. Manuel Perera reçoit l’alternative des mains de Morante de la Puebla, témoin El Juli, face à "Barbacana" n°46 de Torrestrella pesant 520 kg, née en 01/18. Brindis au public. La faena débute à genoux puis debout car les retours à droite mettent le toricantano en difficulté. Le torero se fait déborder sur les deux cornes. Le bicho n’humilie pas et tire des derrotes à chaque muletazo. Quelques naturelles de face concluent un trasteo laborieux. Pinchazo et demi-lame delantera et desprendida. Quelques sifflets au toro et salut pour le jeune Manuel Perera.
A son premier, Morante de la Puebla donne des véroniques difficiles, en particulier sur la corne droite, sur laquelle le bicho se colle. C’est José Luis Trujillo qui se charge de la lidia. Le toro s’endort sous le peto. Morante donne quelques capotazos pour tester le toro avant de le renvoyer au cheval. Ni Morante, ni sa cuadrilla ne semblent inspirés. Le Torrestrella charge a hauteur de la esclavina et avance au pas. Après la cérémonie de restitution des trastos, Morante, après bref tanteo, entre a matar avec l’épée qu’il avait déjà en main. Plusieurs pinchazos et 3/4 d’épée atravesada portée à bout de bras. Avis, descabellos et bronca. Sifflets au toro.
Le second de Morante est renvoyé aux corrales. Le sobrero est de Garcigrande, un cinqueño qui charge avec intensité dans la cape du matador, avec des retours croisés qui ne lui permettent pas de briller à la cape. Le toro, suivant sa tendance à querencia, est piqué au cheval de réserve. Il semble avoir changé après la première pique mettant la tête avec plus de rythme et par le bas dans les capes. La seconde ration de fer est excessive. La cuadrilla est mise à l’épreuve au second tiers. Morante attend que Manuel Jiménez "Lili" ramène le bicho de querencia a "contre-querencia". Alors que personne ne s’y attend, le début de faena par pases ayudados est intense et profond. La série droitière qui suit est d’une intensité difficilement égalable, comme tout ce qui suit, d’ailleurs, sur les deux cornes. Tous les adjectifs utilisés par la presse spécialisée jusqu’à présent durant la feria, ont perdu, en quelques muletazos, tout leur sens. La faena de Morante à "Ballestero" va nécessiter l'invention d'un vocabulaire aproprié pour décrire ce qui se rapproche de la perfection. Une position parfaite, des trajectoires longues, profondes, par le bas. Pas un geste de trop ou déplacé. Tout est réalisé dans le pur classicisme, la sincérité maximale et l’art que peu de toreros sont capables d’exprimer. Applaudissements au Garcigrande et deux oreilles pour Morante, pour un faena historique, de verdad.
Après un long passage probatoire, Julián López "El Juli" met son premier adversaire dans la cape par véroniques avec gestes accentués. Les chicuelinas et demi-véronique du quite sont suaves et enroulées. Le toro ne laissera pas le souvenir d’un combat de brave au cheval. Il s’affale au sol dès les premiers muletazos de tanteo. Le bicho est probón. El Juli donne des toques fermes. Les premiers passages notables viennent sur la corne gauche. À droite, El Juli allonge la trajectoire à base de technique et "temple", toujours à la recherche de la distance idoine. Celle-ci se trouve à un ou deux pas en arrière de la sortie des passes. Musique. El Juli construit son trasteo autour des médiocres caractéristiques du Torrestrella. Demi-lame trasera, caída et atravesada. Descabello. Salut.
El Juli doit passer après les deux oreilles de Morante. Une fois que le Torrestrella ait effectué une vuelta de campana sur une corne, El Juli le passe dans des véroniques sans relief. Les piques sont réalisées au pas de charge avec un minimum de châtiment. Quite de Manuel Perera par tafalleras. Brindis à Alvaro Domecq, éleveur des toros de Torrestrella. Difficile pour El Juli de connecter avec les tendidos. Il se fait accrocher la muleta à droite. Le toro montre un gênant calamocheo sur les deux cornes. Sa charge est molle et problématique. El Juli doit se croiser entre chaque muletazo s’il veut provoquer la charge. Les toques ne suffisent pas. "Julipie" pour une épée arrière. Salut.
Le dernier Torrestrella de la corrida est attendu à puerta gayola par Manuel Perera. La larga cambiada à genoux est exécutée en plongeant. Les véroniques qui suivent sont réalisées dans une ambiance populiste. Le public accompagne joyeusement la mise en suerte marchée, et désordonnée, du jeune torero. Les deux piques réglementaires sont exécutées avec promptitude. La cuadrilla salue aux banderilles. Brindis personnel. Au centre, Perera cite à genoux. L'estaquillador de la muleta est brisé dans le premier muletazo. Muleta changée, le torero se remet à genoux pour une série plus émouvante qu’efficace. Les naturelles sont rendues compliquées par une demi-charge. À droite, le toro ne répète pas. Avec insistance Perera enroule des passes droitières qui invitent la musique. La faena va a menos et tourne à l’arrimón. Estocade entière delantera.
Aujourd’hui il fallait être Morante de la Puebla et Morante l’a été, car aucun autre n’est en mesure de l’être. Être ou ne pas être Morante de la Puebla.
René Arneodau