Mon ami et rédacteur sur cette page, René-Philippe Arnéodau, annonçait, hier, la création de CRISOL par le matador de toros Enrique Ponce. Après 30 ans de carrière, l’idée de créer ce mix artistique où la Tauromachie est associée à d’autres expressions artistiques telles que la musique, le chant, la peinture est sans doute originale mais soulève des questions purement pratiques, techniques et même déontologiques. Il n’est pas nécessaire, ici, de redéfinir la corrida de toros et son esprit, ses règles et son déroulement pour deviner que le spectacle que prétend monter Enrique Ponce surprendra ou choquera même l’aficionado a los toros. La corrida est par nature un spectacle coloré : la couleur du sable et des barrières, les costumes de lumières, les oriflammes, les spectateurs eux-mêmes dans leurs manifestations et la musique pour accompagner le tout. ¿Est-il nécessaire de lui donner une autre «couleur» ?
Ayant assisté à plusieurs corridas où déjà des tentatives de mélange des genres avaient été introduites, il m’a été facile de constater que le rituel habituel de la Fiesta en était modifié. La corrida goyesca d’Arles de l’an dernier – les toreros et personnel de service des arènes habillés selon la mode du temps de Francisco de Goya, affiche et décoration du sable et des barrières par le maestro Luis Francisco Esplà, accompagnement du violoniste Paco Montalvo – ; les corridas organisées au Palacio de Visalegre de Madrid (arènes couvertes) avec orchestre symphonique ou cante flamenco ; récemment les corridas de la Feria d’Istres qui innovait en introduisant des chants et musique classique à l’unisson des faenas, en particulier de celles d’Enrique Ponce qui à l’occasion avait revêtu un smoking pour tuer les trois derniers toros de son encerrona ; déjà Enrique Ponce, à Mont-de-Marsan en 2015, avait sans doute apprécié que durant sa faena l’Orchestre Montois avait interprété le thème du film La Mission, musique d’Ennio Moricone, moment magique, il faut bien le dire, qui avait remué aussi bien le torero qui réalisait une grande faena et votre serviteur présent sur les gradins. Ce n’est sans doute pas un hasard quand on apprend que le Directeur artistique de CRISOL est M. Guillaume François, Président de la Commission Taurine de Mont-de-Marsan…
Ce long exposé préliminaire a pour but de «planter le décor» et de mettre en relief la déviation dont peut souffrir la corrida de toros «made in Crisol». Sans vouloir dénigrer a priori le talent des acteurs de ce projet de spectacle – les toreros, les musiciens et les œuvres interprétées, les chanteurs d’opéra et de flamenco, l’artiste peintre-décorateur, le couturier pour les costumes – il faut bien se rendre à l’évidence que le toro dans cette affaire et sa lidia seraient réduits à la portion congrue du show. La forme de l’amphithéâtre – on ne peut pas mieux dire dans ce cas – est dessinée pour faire converger, focaliser les regards et l’attention du public en direction des acteurs, du torero et du toro dans leur combat dont peut naître l’Art si recherché. ¿Que dire, alors, si pendant la faena, l’orchestre joue ou le chanteur vocalise et termine son morceau et que les spectateurs l'applaudissent à contre-sens sans qu’il y ait motif à cela pour le «travail», le trasteo, du torero en piste, au risque de le déconcentrer? (situation maintes fois constatée). ¿Que dire du toro qui ne va pas se prêter à l’interprétation d’un solo de violon à moins qu’il ne soit un toro "artiste" tel que l’avait conçu feu Juan Pedro Domecq ? ¿Voyez-vous l’orchestre entamer, parce que c’est au programme, le Concerto d’Aranjuez pendant la lidia d’un toro qui fait suer sang et eau le torero ou bien du toro et toreo insipides qui ne permettent pas le déploiement de figures artistiques? (on le comprend aisément, voir ma chronique du 21 juillet dernier) ¿Que doivent faire les spectateurs attentifs à la lidia et ponctuer par des olés la succession des passes enchaînées ou écouter religieusement la copla du cantaor et son accompagnement à la guitare?
A quelques exceptions près la symbiose des arts paraît illusoire et dans la réalité une incongruité, en matière taurine en tout cas, frisant le ridicule bien des fois. ¿Comment trouver la synchronisation entre le tempo d’une musique ou d’un chant avec le rythme d’une faena et le temple des passes? Sauf à Séville, peut-être, la musique et les paso-dobles sont des accessoires dont on peut parfaitement s'en passer comme à Las Ventas de Madrid. Le spectacle de la corrida ne devrait pas être dénaturé au risque de perdre et nier la seule émotion qu’il prétend produire et qui est sa raison d’être: le combat du toro, le danger latent, le courage et la domination du torero sur l’animal. Peut-être CRISOL attirera-t-il d’autres spectateurs séduits par le décorum et même des mélomanes en tout genre qui de s’intéresseront pas en profondeur au combat du toro, son rituel et son essence. Ethique et esthétique sont des valeurs qui perpétuent le sens de la corrida, si c’est l’esthétique qui prime, la pente de la décadence sera son sort, il faut le craindre.
Au risque de paraître conservateur et pourquoi pas rétrograde - en matière taurine - mes réflexions ne sont pas pour faire injure à l’innovation ni aux intervenants annoncés de CRISOL, surtout pas à Enrique Ponce son initiateur, torero talentueux, respecté et respectable. Il est toutefois nécessaire de rappeler que la corrida est en danger et que toute initiative qui tendrait à la rendre seulement artistique lui ferait perdre de sa substance en organisant un spectacle avec des toros ad hoc et distrayant un public nouveau, certes, mais peu enclin à la «sauver». Enfin, il est souhaitable que cette entreprise soit limitée à quelques représentations et que le modèle ne soit pas suivi par d’autres «créateurs», techniquement peu préparés, faciles imitateurs peu scrupuleux de l’éthique de l’art tauromachique, el arte de Cuchares.
Georges Marcillac
Casas vient de nous annonce la corrida du XXIe siècle à Malaga ! En total accord avec Georges : ce type de "représentation" doit rester confidentiel et non pas se multiplier
sous peine de faire sombrer totalement la corrida telle que nous l'aimons,
et dire que toutes ces initiatives auraient la prétention de la sauver !
On ne saurait mieux dire
Olé !!!
JPC