Juan Pedro Domecq a proposé ce jour un lot peu homogène, aux allures terciadas pour le 5 et 6, mais surtout un lot dénué de force et de vivacité. L’unique excuse circonstancielle pouvant être avancée pour un comportement tant médiocre, est celle de la température exceptionnellement élevée connue à Bilbao en ce jour, aux alentour de 46° qui aurait pu affecter le ganado.
Le point commun des toros fut les armures développées et la faute de remate dans les hechuras. Quant aux pointes elles étaient, pour certaines, moins notablement affectées par le mal des temps actuels. Alejandro Talavante a connu un succès populaire notable coupant trois oreilles dont deux à son second. Ce triomphe, il convient de le préciser, est du à l’intelligence du torero qui a su toréer au niveau des exigences des tendidos, c’est-à-dire sans se préoccuper ni de l’absence d’intensité des toros de Juan Pedro, ni de la réalisation d’un toreo pur, dont nous savons qu’il est capable.
Les premières charges molles du premier JPD ne motivent en rien Morante de la Puebla. Le toro s’emploie toutefois deux fois sous le fer, recevant une ration excessive au second passage. Peu inspiré par la soseria du bicho, Morante trouve le moyen de démontrer que le toro ne sert pas. Bronca après demi-lame. Descabello.
Le second de Morante le met en difficulté dès le premier lance et l’oblige à sauter la barrière. La suite de la lidia est conduite, d’abord par Antonio Jiménez "Lili", son peón de confiance, puis par Morante, lui-même avec beaucoup de précautions. Le toro, laissé à son sort par le matador, combat d’abord au cheval de réserve. Il subit la seconde pique en contre-querencia. La faena débute par des muletazos par le haut, puis à mi-hauteur dans un style simple et sincère. À gauche, le toro attaque à contre-temps et Morante revient à droite. Ressort du trasteo un derechazo profond, cité avec la bamba de la muleta. Alors que fuse une insulte malvenue des tendidos, Morante tourne les talons et va chercher l’épée qu’il utilise en trois passages avec toutes les précautions possibles. Bronca.
José Maria Manzanares passe le second JPD sans option de toreo de cape, le toro sortant distrait des passes et se retournant à l’envers. Le toro reçoit une pique en querencia et une autre en terrains habituels sans pousser. Quite de Talavante par chicuelinas alors que le toro a du mal à charger. Manzanares débute son trasteo par doblones qui font s’agenouiller l’animal. Les premiers derechazos, lointains et à mi- hauteur, maintiennent le toro debout. Dans la seconde série droitière le torero tente de baisser la muleta mais le JPD raccourcit sa charge. La première série gauchère est fade ce qui incite le matador à reprendre la droite. Toujours fuera de cacho, ou al hilo, Manzanares fait passer le toro sans s’imposer. Les séries sont courtes, esthétiques et sans aucune profondeur. Les passes sont tronquées avant le remate. Plusieurs pinchazos et trois-quarts de lame terminent une prestation anodine. Silence.
Le second de Manzanares est encore un toro soso qui suit la cape de son matador sans ferveur, donc sans émotion. Le bicho tire des coups de tête sur le peto lors de la première puya et est épargné à la seconde. Le tanteo débouche sur un passage droitier court, et sans engagement, dans lequel le JPD titube. À gauche, Manzanares fait une démontration de toreo avec le pico, technique anachronique avec cette suerte. Il enchaîne sans idée sur les deux cornes dans un trasteo insipide que la soseria du toro ne fait qu’accentuer. Demi-épée en passant au pas de course. Silence.
Alejandro Talavante reçoit son premier avec douceur, jusqu’au centre, incluant des chicuelinas pour cacher le manque de force et de verve de l’opposant. Face au cheval, le JPD finit de se dégonfler. Talavante s’invente une première tanda, entamée par le haut, puis fauché par la patte arrière du bicho, en improvisant une seconde partie genou en terre. Les derechazos et naturelles sont fades par faute de la mollesse du bicho. Le matador fleurit l’ensemble par des détails De toreo fondamental il n’y en a point. Le corps est penché pour citer loin de lui et ensuite il se redresse au passage du toro. Malgré ce manque flagrant d’engagement, le public festif répond favorablement. Le Talavante du toreo pur est devenu celui des fioritures dans cette faena. Quelques manoletinas et estocade entière desprendida. Oreille.
Le dernier Juan Pedro est reçu par faroles par Talavante, puis des véroniques et larga invertida. Face au cheval, le toro voit sa bonne volonté trahie par son manque de force. Il répond cependant de loin pour la seconde pique. Boyante au second tiers le toro laisse présager de bonnes choses promptement déçues. Salut de Miguel Murillo au second tiers et brindis au public. Talavante cite à genoux pour un pase par le haut, un cambio dans le dos et une série en redondo apportant l’animation que le toro qui va a menos ne peut offrir. Ce manque de force du bicho va conditionner la suite de la faena. Talavante va se confier sur les deux cornes et le public faire fi de la sosería de l’animal. Il profite de la noblesse extrême de l’opposant pour connecter avec les tendidos y compris avec une touche de tremendismo. Entière caída d’effet rapide. Deux oreilles.
La question est de savoir si, lorsqu’on regarde une faena, la condition du toro, quelle qu’elle soit, doit être prise en compte pour évaluer le travail du matador. Pour les plus exigeants, l’émotion vient d’abord du toro et le triomphe ne vaut que par elle. Aujourd’hui les Juan Pedro en étaient dénués.
René Arneodau