La question majeure que l’on est en droit de se poser au terme de la corrida-phare de cette San Isidro 2022 est la suivante : ¿Que deviendra la corrida de toros si s’il n’y a plus de toros dignes de nom ? L’état alarmant des toros de JP Domecq cette saison et le résultat de la corrida d’aujourd’hui alimentent la désespérance des aficionados. Les titres des dernières corridas - du moins ceux de notre page-web - confirment ce diagnostic peu optimiste que certains tentent de cacher en intitulant leur reseña de termes euphémistiques ou évitant simplement de traiter un lot de toros de mansada, d’absence de casta et autres compliments qui terniraient la réputation d’un élevage de renommée. Les moins avertis, se fixant sur l’affiche des toreros, rendent coupables ceux-ci du désastre du jour bien que l’on ne doit pas oublier que l’œil de leur veedor ou les références de reatas fournies par l’éleveur devraient apporter, a priori, une garantie pour le choix des toros. Une pancarte était déployée au Tendido 7 de Las Ventas pour réclamer des « toros de Madrid ». Encore faudrait-il définir ce qu’ils devraient être ! Des mastodontes de plus de 600 kg ? Des toros dont on ne voit que les cornes démesurées ? Ce que l’on demande plus raisonnablement : des toros dont le trapío et les hechuras les préparent à se déplacer, à charger, etc. encore fait-il que leurs capacités physiques soient accompagnées de la bravoure, d’une agressivité qui crée l’émotion et qui permet de démontrer la vaillance et technicité des toreros. Certains invoqueront les deux ans passés, l’arrêt forcé des spectacles taurins dû à la pandémie de la Covid 19, l’obligation pour l’éleveur, pour rentabiliser son affaire, de proposer des toros de plus de cinq ans et les inconvénients qu’ils supposent. À cela il faut ajouter le manque d’imagination des organisateurs de corridas, la répétition des élevages en déclin et des toreros-vedettes engagés, l’oubli d’autres toreros, sans considérer les problèmes purement économiques auxquels ils sont confrontés, les éleveurs, le public qui doit être renouvelé… Autant de sujets qui devraient faire l’objet d’une analyse urgente pour la survie de la corrida de toros comme le sont les travaux des « États Généraux des Tauromachies » en France.
Ce long préambule n’est que la réflexion suggérée par une affiche qui s’est reproduite et le sera encore cette saison : six toros de Juan Pero Domecq pour les matadors Morante de la Puebla, Juan Ortega et Pablo Aguado. Tous Sévillans, artistes de surcroît, pour lesquels Séville se pâme et qui sont voués à l’échec comme celui enregistré aujourd’hui pour les raisons évoquées ci-dessus. Une fois de plus la corrida s’est déroulée à guichets fermés et 22.962 spectateurs étaient enregistrés.
Morante de la Puebla, ne pouvait déployer son talent à la cape, quelques véroniques isolées, face à ses deux toros dont il ne parvenait pas à fixer et réguler les charges désordonnées ou fuyantes. Dès les premiers muletazos de ses deux faenas ? on devinait et comprenait le désagrément du maestro attendu au 4ème , ce dernier pire que le 1er, topón, sans la possibilité de le faire passer une seule fois. Les mises à mort étaientexpédiées sans que soient appliqués les canons de la suerte suprême…
Juan Ortega héritait du 2ème, un toro de bonnes hechuras mais qui inspectait les planches mais répétait dans la cape pour les premières vraies véroniques de la soirée et la demie. Après cela, aux piques et aux banderilles, il ne se passait pratiquement rien de notable, si ce n’est un saut à la jugulaire du cheval d’un toro protestataire à la première pique, de charge nulle au deuxième tiers. A la muleta, sans vraiment allonger les passes à ce toro… qui d’ailleurs n’aurait pas suivi, Juan Ortega optait rapidement de prendre l’épée et après un pinchazo et porter une demi-estocade delantera. C’est au 5ème, un joli toro, negro salpicado, que le Sévillan, montrait les qualités artistiques qu’on lui connaît, mais surtout une volonté de toréer malgré les limites de bravoure et de charges de l’animal. Un quite par chicuelinas, gracieux et tout en délicatesse, dans un geste de bailaora flamenca, était possible malgré le peu de codicia du jp-domecq à cet instant. Pablo Aguado profitait à son tour, dans un autre style, élégant, de répondre à son compagnon par chicuelinas. Au début de la faena, les passes aidées par le haut, accompagnaient la brusquerie de charges pour se réduire, dans les autres passes, à un coup de tête final. Cela impliquait des passes de geste lent, de belle facture, mal terminées à cause du défaut de tête. Juan devait se repositionner, la faena manquait de continuité. Les passes finales par le bas, deux molinetes, trincheras et trincherillas, étaient une belle signature, mais cela ne suffisait pas pour attribuer un prix à cette faena terminée par un pinchazo et une estocade portée avec décision et facilité.
Pablo Aguado passait peut-être à côté d’une prestation plus positive, du moins à son premier, qu’il toréait à distance, sans baisser la muleta et obliger le toro à « humilier ». Celui-ci, en effet, ne possédait pas cette qualité et se retournait la tête relevée le tout assorti des accrochages de la muleta. Deux pinchazos et trois descabellos. Le 6ème, bien armé devant et sans culata, sans arrière-train, confirmait avec un tel physique le peu de force qu’il avait pour pousser de l’arrière sous la pique. Pablo Aguado traversait la piste pour chercher un terrain plus favorable, soit à l’abri du vent, soit à la faveur d’une possibilité, alléatoire, du toro à mieux charger ? La faena était la succession de passes isolées, d’un repositionnement entre chaque passe, dénuée d’intérêt. Un pinchazo et une demi-estocade croisée.
Georges Marcillac
Photos de cultoro.com