L’après San Isidro donne lieu, à Las Ventas, à un cycle de novilladas dominicales où des novilleros peuvent confirmer ou affirmer leur valeur et niveau en se présentant pour la première fois à Madrid et, en cas de succès, (re)lancer leur carrière.
Alors que les conditions économiques et politiques espagnoles actuelles ne se prêtent pas à l’organisation de novilladas comme dans le passé, le passage à Las Ventas représente pour la plupart des novilleros leur seule planche de salut.
Ce dimanche se présentaient deux novilleros, un déjà vétéran de 28 ans, « José Manuel » Sánchez et Daniel Menes de l’École Taurine « Marcial Lalanda » de Madrid. Le troisième homme du cartel était Curro Durán de Utrera (Sevilla), fils du torero de même nom qui eut ses heures de gloire dans les années 80.
Cette chronique n’a pas pour but celui de relater dans le détail la prestation des trois toreros – Daniel Menes coupait une oreille à son premier et les deux autres recevaient des silences polis après des faenas mal terminées à l’épée – mais pour souligner que cette novillada nous réservait bien des surprises par le comportement des novilleros, leur entrega et surtout le déploiement de leur bagage technique dans la réalisation de nombreuses suertes artistiques principalement à la cape, innovantes certaines, retrouvées d’autres. Elles apportaient aux quites la variété, habituellement absente de la plupart des corridas formelles, sans que soit oubliée pour autant leur utilité dans la lidia. L’improvisation et la beauté du geste ne pouvaient, néanmoins, faire oublier le risque toujours présent face à des novillos qui, eux, n’étaient pas toujours les partenaires idéaux pour ces enjolivures.
Daniel Menes, bien apprises les leçons de l’Ecole Taurine, surprenait en allant accueillir son premier novillo a porta gayola, à genoux, cape dans le dos, pour un frente por detras assorti d’une caleserina, la surprise était totale même chez des aficionados chevronnés qui ne savaient quel nom donner à cette passe. Les quites suivants étaient agrémentés d’une série de crinolinas et une autre de faroles !
Dans un autre quite, il combinait les saltilleras et gaoneras, il accueillait son deuxième novillo para deux largas cambiadas a genoux suivies de vibrantes gaoneras à un novillo sortant tout juste du toril ! A la muleta, la faena débutait par des passes hautes à genoux et debout, en prime, une arrucina et passe de poitrine en guise de remate. Les manoletinas de la fin de faena ne pouvaient, évidemment, pas être oubliées de ce bagage fourni.
« José Manuel », connu principalement dans la région de Murcie, impressionnait pour sa première venue à Madrid par son culot et assurance, par la diversité des suertes employées à bon escient en particulier pour retenir son novillo par des véroniques en delantal et demi-véronique à genoux et la qualité des chicuelinas au pas, bien cadencées pour conduire son novillo au picador et paraphées de la revolera pour le placement. Dans un autre quite, en concurrence avec Daniel Menes, il nous gratifiait de l’envolée d’une série de zapopinas fleuries (aussi appelées lopecinas). Son deuxième novillo, de charge désordonnée, ne se prêtait pas à des gaoneras, poutant il les réalisait avec détermination, en un cite lointain et risqué.
Le novillero se chargeait de la pose des banderilles et il terminait le tercio par un quiebro après un cite à genoux, clouant dans ce cas des banderilles courtes. Ensuite, c’est par des naturelles qu’il accueillait le novillo avec la muleta pliée selon la suerte del cartucho de pescado de Pepe Luis Vázquez. Qui dit mieux ?
Curro Durán, moins bien servi par ses novillos, profitait néanmoins de son tour de quites pour toréer par tafalleras et faroles, allait à la porte de chiqueros pour la dorénavant classique mais inutile porta gayola ; la faena de muleta à son premier était entamée par l’autre classique cambio por la espalda.
Il va sans dire que toutes ces passes qui pourraient paraître des fioritures, ne sont pas seulement cela, elles font sortir de leur monotonie la succession des passes fondamentales nécessaires, certes, mais répétées à l’infini, souvent sans la fraîcheur et l’improvisation des passes dites de adorno.
Donc, bienvenu le renouvellement du répertoire, le bagage des novilleros ou jeunes matadors de la nouvelle vague, bienvenue la variété des suertes. Pour cela, plusieurs conditions sont à réunir : la mobilité des toros, leur physique et comportement, la lidia qui leur est appliquée. C’est le vœu pieux que l’on peut formuler… Ce premier dimanche de juillet, à Madrid, le public autochtone et visiteur avait assisté à un spectacle captivant du début à la fin, l’attention soutenue, largement commenté et apprécié par les aficionados endurcis de Las Ventas.
Georges Marcillac