La traditionnelle corrida de la Beneficiencia rassemble les triomphateurs de la San Isidro, sauf que cette année, caprice de la empresa, Emilio de Justo figurait d’office au cartel, ne laissant que deux places à pourvoir. Sébastien Castella et Fernando Adrián étaient les justes récents vainqueurs de la feria madrilène et revendiquèrent à leur manière leur position: Fernando Adrián coupait deux oreilles au 6ème et notre compatriote, sans trophée, dominait largement de sa science ses deux opposants. Les toros étaient un mix de produits domecqs avec deux de Daniel Ruiz (1er et 3ème), trois de Juan Pedro Domecq (2ème, 4ème et 6ème) et un de Victoriano del Río couru en cinquième position. Le deuxième de Daniel Ruiz, protesté à juste titre pour sa présentation limite n’était pas renvoyé aux corrales pour sa faiblesse dans le tumulte des porteurs de mouchoirs verts… La suerte de varas fut pour tous une formalité…. Les premiers et sixième furent des toros de qualité propices à de bonnes faenas. Le 4ème avait des charges vives et âpres que Sébastien Castella sut peu à peu tempérer. Emilio de Justo ne parvenait pas à intéresser un public habituellement réceptif à son égard. Au momento du bilan du cycle isidril, cette corrida de dessert relevait le niveau de l’ensemble plutôt pauvre des spectacles précédents à l’exception des corridas De Santiago Domecq (31 mai) et de Victorino Martín (4 juin) qui avaient raflé tous les prix des associations taurines.
Fernando Adrián sortait, ainsi une nouvelle fois par la Grande Porte de Las Ventas, après une faena à un toro de Juan Pedro Domecq, de fines hechuras, de nom “Secuestrador-243” de 535 kg. cinqueño, veleto, estrecho de sienes, qui, par ses qualités, redorait l’image de cet élevage tant de fois décrié. D’entrée, il sortait de la cape avec une attirance particulière vers les tablas mais ce défaut disparaissait car la faena de muleta se déroulait au centre du ruedo d’abord par un double pase cambio por la espalda, de la main gauche, alterné par la passe de poitrine et ensuite, sans autre préliminaire, par des naturelles mandando, templando. C’est de la gauche qu’essentiellement que Fernando Adrián toréait magnifiquement, passant le toro derrière la hanche pour lier la passe suivante ou prolongeant en redondo les naturelles. Des derechazos et le changement de main pour enchaîner la naturelle avec temple, assurance et peu d’espace. Le public debout célébrait un nouveau changement de main, une naturelle interminable liée à la passe de poitrine. Du grand art! L’estocade desprendida en terminait avec ce toro de grande “humiliation”, ductile dans la muleta exigeante. Les deux oreilles étaient amplement méritées et fêtées. A son premier, Fernando Adrián avait dû s’efforcer pour toréer dans le tumulte et la réprobation d’un toro manifestement faiblard. A genoux – pour calmer les esprits? – il l’avait reçu à la muleta sans préjuger justement de ce manque de force et se faisait prendre… sans dommage… heureusement. Sans rien faire de plus, il fallait en finir. Estocade trasera, contraire. Un descabello.
Sébastien Castella ne démentait pas son titre de triomphateur de la San Isidro face à ses deux toros de caractéristiques et ganaderías différentes. Le premier tendait vers les tablas et en était éloigné par de courtes véroniques, chicuelina et revolera. Au sortir de la deuxième pique, une vuelta de campana faisait craindre le pire mais le toro s’en récupérait. Au centre de la piste, Sébastien subissait de plein fouet une spectaculaire voltereta en exécutant un quite par saltilleras qu’il poursuivait des mêmes lances, sans dégât apparent… Le daniel-ruiz se déplaçait bien au tercio de banderilles ce qui justifiait, en début de faena de muleta, le double péndulo, de la main gauche, assorti de passes de poitrine et remates de dominio par le bas, le tout lié dans un mínimum d’espace! La première série de la droite, supérieure de temple et ligazón, était suivie d’une autre dans laquelle le toro “protestait”. Un changement de main se terminait par une naturelle en redondo. Les séries des deux mains, meilleures sur la corne droite, derechazos liés et des hachazpos en fins de passes, corrigés par la muleta baissée, formaient une faena où manifestement, Sébastien Castella dominait son sujet. Des manoletinas pour finir. Un pinchazo précédant une estocade entière, desprendida, le privaient d’une oreille. Le 4ème, un Domecq, corpulent et trapío, veleto, avait tendance à sortir du capote, signe de mansedumbre, sortant suelto des piques. Les doblones de début de faena avaient pour but de garder l’animal dans la muleta mais aussi de tempérer des charges vives et descompuestas dans les derechazos et naturelles des séries suivantes. Là encore, Sébastien Castella dominait la situation malgré le manque de perfection des charges de ce toro toujours vif, âpre même. La faena se prolongeait, le torero a gusto, sûr de sa maîtrise et… sonnait un avis! Une nouvelle estocade, un peu en arrière, desprendida, incitait le public à demander l’oreille non concédée. Vuellta de compensation méritée.
Emilio de Justo, invité d’office à cette corrida, semble avoir perdu le naturel du torero vaillant et attirant que le public de Madrid, et d’ailleurs, affectionnait. Serait-ce encore les séquelles de son accident de l’an dernier? Toujours est-il qu’il donne l’impression de composer une figure et de la forcer et surtout de faire passer ses toros mécaniquement, sans l’étincelle, même fugace, d’un indice de mando ou d’inspiration artistique. La larga cambiada de rodilla de réception au 2ème marquait le début d’un trasteo que ne faciliait pas un toro de course irrégulière, qui se freinait dans les premiers muletazos, sans se livrer, s’arrêtait même , le torero corrigeant sa position entre les passes, une à une. Une estocade basse et degüello… Le 5ème, de Victoriano del Río, avait pour caractéristiques l’”humiliation” et une course allègre maintenues tout au long de sa présence dans la piste. Il s’élançait de loin au cheval pour un ratage du picador, vuelta de campana à la sortie et quites d’Emilio de Justo par chicuelinas et demi-véronique et de Fernando Adrián par salterillas en changeant le voyage. Il ne rendait pas la tâche facile aux banderilleros et la faena se résumait à beaucoup de passes, sans transmission… du torero. Un pinchazo, une estocade tombée et arrière, un descabello. Un avis.
Sebastien Castella: un avis et saluts; un avis et tour de piste. Emilio de Justo: silence; un avis et silence. Fernando Adrián: silence: deux oreilles, sortie a hombros et Puerta Grande. Brindis des trois diestros au roi Felipe VI présent au palco royal. José Chacón saluait au 4ème pour sa pose de banderilles. Beau temps. 17.125 spectateurs. |
Georges Marcillac
Photos: mundotoro.com