En ce deuxième début de temporada atypique due à la pandémie du Covid-19, cette corrida revêtait une certaine importance pour plusieurs facteurs Tout d’abord par la présence d’Enrique Ponce. Il en est à sa trentième saison de matador de toros et, en maître incontesté, il n’hésite pas à multiplier ses contrats dans toutes sortes d’arènes, considérant qu’il est nécessaire de revigorer l’afición et le public «en manque» de corridas et de contribuer à la survie des cuadrillas qui peuvent, dans une certaine mesure, combler un manque à gagner évident depuis le début de l’état d’alarme sanitaire. Ensuite Emilio de Justo, dont 2020 allait être l’année de sa consécration. Il avait seulement à son actif une corrida à Olivenza et le festival d’Aranda de Duero fin février. Aujourd’hui il se mesurerait en mano a mano avec Enrique Ponce. Les deux empresas Tauroemoción (Alverto García) et Espectaculos Carmelo García avaient fait le pari de monter cette corrida et recevaient le fruit de leur initiative car la plaza enregistrait pratiquement le plein dans la limite des restrictions imposées toujours par le Covid-19. L’entrée générale était à 30 € et les places de barrera à 50 €. Le paseo était programmé à 21 h. sous la canicule… Les toros de El Torero, affichaient les poids de 471 à 504 kg., tous armés cornidelantero, montraient des comportements divers, avec un accessit de bravoure pour le 6ème, la mono-pique de rigueur et, en général une mobilité parfois désagréable avec baisses de régime sur la fin des faenas.
Enrique Ponce était le moins heureux au sorteo et sa première déception était patente avec le 1er, un toro qui perdait l’équilibre en fins de passes de muleta malgré l’insistance du maestro à le toréer à mi-hauteur. Un pinchazo et une entière tombée. Le 3ème entrait dans la cape à la limite de la décoordination du train arrière et plantait une corne dans le sable dans une vuelta de campana sans conséquence pour la suite. A la pique, il poussait seulement des antérieurs. Enrique Ponce profitait d’une charge meilleure lors d’un quite en tablier. Au deuxième tiers, le toro attendait et se lançait au dernier moment entraînant un «sauve qui peut» des banderilleros. La faena, avec des hauts et des bas, des toques successifs pour prolonger la charge, la muleta convaincante en passes plus courtes sur la fin étaient la démonstration d’un trasteo technique. L’abaniqueo final ravissait le public. Las, un pinchazo avec un départ fuera de cacho et une demi-estocade très basse refroidissaient si l’on peut dire l’atmosphère… torride. L’oreille était perdue. Le 5ème, un joli colorado, de belles hechuras malgré ses 475 kg. se révélait très indiscipliné, mobile certes mais sans classe dans la cape d’Enrique qui ne pouvait l’assujettir. Une costalada avant d’aller au cheval. Il s’élançait plutôt de rage que de bravoure pour recevoir une pique sévère. Enrique Ponce devait déployer toute sa science pour faire avancer la faena : il y parvenait dans des séries des deux mains, de bonne facture, que le toro acceptait sans toutefois aller jusqu’au remate de la passe de poitrine. Une dernière série, les pieds cloués au sable, enroulant le toro autour de la ceinture sans discontinuité. Une merveille étant données les conditions de ce toro «infumable». Trois pinchazos et un avis avant une estocade contraire, le toro ayant gardé la tête haute à la mise à mort. Déconvenue totale.
Emilio de Justo, mieux servi, il est vrai, se montrait décidé, sûr de lui et toujours au-dessus des conditions de ses trois adversaires. Le 2ème, le moins propice au succès, sans fixité à la cape, souffrait un vuelta de campana à la suite d’un capotazo de José Chacón. Tardo aux banderilles, il mettait en difficulté le banderillero Manuel Gómez « El Pollo » et c’est le sobresaliente, au quite, qui le sauvait in extremis. Le bon tanteo en gagnant du terrain était gâché par la chute du toro à la suite d’un trincherazo. La faena se composait de séries de deux passes de la droite et de la passe de poitrine, le toro ne pouvant aller au-delà. Les naturelles étaient plus consistantes. Une dernière série était agrémentée de deux derechazos «templés» avec la passe de poitrine forcée. L’estocade portée avec décision valait une oreille… Le 4ème, le plus lourd du lot, entrait bien dans la cape de l’extremeño mais sans pousser de l’arrière train. Une seule pique arrière rapidement levée faisait suite à une vuelta de campana. Un joli quite par chicuelinas, compas ouvert et revolera était l’indice de la forme par laquelle Emilio de Justo allait toréer à la muleta: le toro avait tendance à sortir des passes et intelligemment Emilio faisait un pas entre chaque passe, chargeant la suerte et pouvait ainsi lier principalement les derechazos. Le seul défaut que l’on pourrait trouver à ce trasteo efficace est celui de l’usage d’une muleta XXL de telle sorte que la transmission de la charge du toro n’était pas accompagnée de l’émotion qu’auraient pu produire l’enchaînement continu des passes. A gauche c’était moins bien, le toro se «serrait» obligeant le torero à «rompre». Les manoletinas finales et la passe de poitrine liée précédaient un pinchazo dans le haut et une estocade un peu tombée. L’oreille était accordée. Le dernier ne se laissait toréer à la cape qu’à la troisième véronique. La charge au cheval était violente, le picador José Bernal tenait le coup, le cheval à moitié soulevé. Ovation méritée. Le tiers de banderilles était écourté après une bonne paire de José Chacón. Les passes de tanteo confirmaient la bravoure de ce toro dont la vigueur des charges ne permettait pas le temple souhaité. Malgré cela Emilio de Justo restait ferme sans perdre un seul centimètre de terrain, liait les passes. Le toro ne répétait pas ses charges sur le côté gauche, mais ces charges brusques ne démontaient pas le torero qui terminait par de bonnes naturelles de la main droite, s’étant débarrassé de l’épée qu’il avait prise pour la mise à mort. L’estocade tombait un peu en arrière, le toro ayant fléchi des pattes antérieures au moment de l’embroque. L’effort et la détermination d’Emilio de Justo étaient récompensés par le prix des deux oreilles.
Enrique Ponce : silence ; un avis et silence ; ovation finale et saluts. Emilio de Justo : un oreille ; un oreille ; deux oreilles. Manuel Gómex "El Pollo": salut aux banderilles 2ème Sortie a hombros. Sobresaliente : Miguel Ángel Sánchez. Applaudissements à l’arrastre des 4ème et 6ème. |
Georges Marcillac