C'est à ne plus rien y comprendre. Alors que les toros de El Pilar étaient sortis légers, les Juan Pedro ont été choisis volumineux et hors de type pour un cartel de luxe auquel s'est invité un plein dans les tendidos. De nombreux experts nous expliquent que les toros ne peuvent pas fonctionner avec trop de poids. Sauf que ceux de El Pilar et les Victorino Martín, de la Feria de Séville, sans excès de poids n'ont pas fonctionné. Et aujourd'hui les Juan Pedro Domecq ont été sélectionnés avec du volume alors que Séville les auraient acceptés dans le type. Les figuras ont bien fait l'effort, chacun dans son style et Enrique Ponce s'est même fendu d'un arrimón. Le tout dans une ambiance monotone laissant tout le monde sur sa faim.
Le premier Juan Pedro corniapretado, choque à plusieurs reprises aux burladeros avant de charger avec difficulté dans les véroniques faciles de Enrique Ponce. Le toro pousse sous une carioca de fait. Un bref quite en guise de mise en suerte de Ponce, puis un autre après le second simulacre de pique, attestent de la faiblesse du morlaco. Le fade et distant début de faena est peu prometteur. Le bicho hésite et sa charge est tronquée à droite. L'animal charge avec le museau. À gauche, l'équation à aucune inconnue est la même et le public s'en plaint. Un arrimón du maestro lui vaut quelques applaudissements. Un metisaca dans le flanc et un pinchazo hondo en arrière sont ponctués par un avis. Silence.
Le second Juan Pedro de Enrique Ponce est accueilli classiquement et avec méthode. Contrairement à Ginés Marín, la dernière partie de son corps à s'immobiliser dans les véroniques est sa jambe arrière. Le bicho s'exécute sous deux piques mesurées. Le maestro comprend rapidement son adversaire au point de codillear et de l'enrouler dans les premières séries droitières. Les naturelles, bien que dessinées une par une, n'en sont pas moins efficaces. Ce que la charge manque en réunion, Ponce le compense par son engagement et esthétique. Demi-lame caída, trasera, tendida et atravesada. Trois descabellos et avis. Sifflets au toro, applaudissements et salut au Maestro.
Le second Juan Pedro est massif. José María Manzanares le fixe puis l'embarque en rythme mou pour des véroniques et une demie. L'animal va par deux fois au cheval avec vivacité mais sans pousser. Peu châtié il répond à un quite par véroniques compas ouvert et demi-véronique pieds joints dans un mouchoir de poche de Ginés Marín. Jesús González "Suso" salue en banderilles pour sa prestation efficace. J.M. Manzanares, après tanteo, cite à distance pour une série droitière courte dans laquelle le bicho colle. Passant immédiatement à gauche et il réalise une série plus complète et profonde qui lance la musique. La mesure est prise et Manzanares alterne les séries sur les deux cornes avec beaucoup de "temple" et profondeur à droite. Un desarme à gauche rompt quelque peu le charme. Les ayudados avant l'épėe ont moins d'intensité que le reste de la faena. Estocade entière au rythme d'un sprint. Une oreille. Applaudissements au toro.
Le cinquième est le premier animal court sur pattes de la corrida. Les véroniques de J.M. Manzanares vont de más a menos à l'image des charges de l'adversaire. Le Juan Pedro pousse sous le fer en parallèle au peto, puis fait sonner l'estribo à la seconde rencontre. Le toro est d'abord andarín entre les muletazos droitiers. Le matador trouve ensuite le rythme lui permettant d'enchaîner des séries courtes. Les naturelles sont d'abord méthodiques, brouillones ensuite jusqu'au desarme. L'animal devient éteint et rend inconséquente la fin de faena. De multiples pinchazos irritent le public. Avis, demi-lame et une tentative de descabello non concluante avant que le toro ne se couche. Silence.
Le troisième exemplaire embiste avec vivacité dans les véroniques de Ginés Marín, chargeant la suerte et demi-véronique sur la hanche. Le toro passe sous le peto lors de la première rencontre et envoie voler cheval et cavalier (picador et père du jeune torero) Bien que cherchant à passer par devant le cheval, le toro s'active sous la seconde pique relevée rapidement. Quite de Ponce par chicuelinas de menos a màs et larga en remate. Brindis à Sergio Ramos (capitaine du Real de Madrid et sévillan) présent dans le callejón. Tous les gestes de Ginés Marin sont empreints de précision et d'engagement depuis les premiers cites de loin. Le toro est pronto aux toques mais ne répète pas sans eux. Les séries sur les deux cornes s'en trouvent affectées ce que le matador compense par de l'aguante. Aucune fioriture superflue et aucune technique avantageuse. Tout est engagement face à une baisse de régime marquée du J.P.Domecq devenu statique. Pinchazo et demi.lame croisée. Applaudissements et salut.
Le sixième tarde à se soumettre à la cape de Ginés Marín. Lorsqu'il trébuche, l'ire monte dans les tendidos. Mouchoir vert. Le sobrero du même élevage accuse le coup après une vuelta de campana et finit lui aussi au corral. Le second sobrero de la corrida est le plus léger de la course et le plus en type. Ginés Marín le reçoit avec des véroniques et demie efficaces. L'épreuve de la pique est mal supportée par le bicho qui trébuche sous les protestations. Brindis au public. Le matador prend son temps puis débute en ligne pour ne pas peser sur la charge. Peu à peu, il incurve les trajectoires à droite. Lorsqu'il passe à gauche, le toro donne tous les signes de l'abandon et de la décomposition. Marín abrège. Entière desprendida et trasera. Silence.
René Philippe Arneodau