La première caractéristique du jour est celle liée aux éléments météorologiques qui se sont manifestés à l’heure exacte du paseo et ont affecté le déroulement de la corrida. La seconde caractéristique marquante de la course est sans nul doute le lot de Victoriano del Rio, homogène dans sa sérieuse présentation et intéressant dans le comportement, maintenant une intensité tout au long de l’après midi. Enfin il faut relever l’attitude des trois matadors dont le sérieux, et la volonté de bien faire, ont donné de l’intérêt à tout ce qui s’est déroulé en piste, "El Juli" coupant une oreille à son second. Les multiples brindis au public étant le signe que les trois toreros venaient mentalisés pour triompher et ne pas se laisser surpasser par leurs compagnons de cartel. Quand au triomphe de Tomás Rufo, il arrive dans la lignée de celui de Daniel Luque, basé en partie sur son excellente prestation, mais aussi sur l’émotion provoquée par la terrible voltereta subie par le torero de Talavera de la Reina.
Julián López "El Juli" reçoit le premier victoriano-del-río par véroniques et demie en gérant à la fois le vent et les soubresauts du toro. Ce dernier montre des signes de faiblesse dès la première pique ce qui explique que la seconde soit un simulacre. Au second tiers le toro est mobile et distrait, bouche ouverte. El Juli l’entreprend par doblones et trincheras, jambe pliée, puis il poursuit debout. Le vent rend les toques aleatoires. Les derechazos sont classiques dans le positionnement, cités avec la pansa de la muleta. À gauche, la série se réalise passe par passe, sans aucune fioriture superflue. Puis à droite, la série est plus rythmée mais avec des accrochages. Un dernier passage à gauche précède des entrées a matar maison qui se terminent en pinchazos et ensuite une demi- lame trasera, desprendida, atravesada. Descabellos. Silence.
La pluie s’arrêtée brièvement lorsque sort le quatrième de Victoriano del Rio destiné à El Juli. Le bicho doute et se fait abanto. El Juli le cherche au centre pour des véroniques et demie appliquées. Au cheval le toro pousse, soulève et provoque un batacazo. Chicuelinas mains basses et brouillonnes de Julián. La seconde pique n’a pas la même intensité. Elle confirme toutefois la combativité du toro et la bonne prestation du varilarguero Salvador Nuñez. Brindis au public. El Juli entame le trasteo en obligeant le bicho et en le passant au fil de la taleguilla. Le toro ne se retournant pas complètement il le cite, sans se repositionner, avec la bamba de la muleta. Musique. Le passage à gauche est technique et la suite à droite relâchée avec cambio de mano et trincherilla. Le toro est dominé sur les deux cornes alternativement dans des terrains exposés et sans compromition. Demi-lame trasera et tendida. Oreille et applaudissements au toro.
Le premier adversaire d’Andrés Roca Rey passe dans sa cape en positionnant bien la tête à droite et avec une certaine indifférence à gauche. Il attaque par surprise le cheval face auquel il combat avec entrain. Sous une pique bien exécutée et mesurée, il pousse en brave. La seconde pique est parfaitement calibrée par José Manuel Quinta. Quite de Tomás Rufo en chicuelinas affectées par le vent. Le toro développe du genio au second tiers et met à l’épreuve la cuadrilla qui gère bien la situation. Sous les éclairs et le tonnerre Roca Rey exhibe calme et méthode. Il baisse la main et conduit la charge à droite. Musique. À gauche, le toro n’a pas la même entrega. ARR "temple" d’abord, puis attaque. Il profite encore de la charge à droite malgré les circonstances climatiques adverses. Les bernadinas emportent l’assentiment de la partie du public qui est restée sur les gradins. Pinchazo et estocade entière en décomposant le geste. Avis. Légère pétition d’oreille et Applaudissements au toro. Salut.
Le cinquième est réceptionné coté soleil par ARR dont la cape est continuellement accrochée par une charge à contre temps qui s’accélère durant le voyage. Le toro fait sonner l’étrier lors de son passage au cheval sans grande velléité de combattre. Le quite de Tomás Rufo est affecté par l’état de la piste. Brindis au public. La charge du victoriano-del-río est vive et l’attitude du torero ferme dans son entame de trasteo. La seconde série droitière est dominatrice faisant répéter le toro en restant dans son terrain. La charge n’est pas facile car le toro donne des à coups en cours de muletazo. À gauche, l'animal se fait prier et ARR arrache les naturelles. La seconde tentative va a más. De retour à droite, le matador confirme qu’il domine son adversaire et fait un clein d’oeil à la Maestranza en terminant par des luquesinas serrées. Pinchazo en todo lo alto au moment où sonne l’avis. Entière tombée. Le second avis retentit lorsque ARR porte les descabellos. Palmas.
Tomás Rufo qui effectuait sa présentation à Séville comme matador, exécute des véroniques particulièrement bien conduites à droite, à son premier adversaire. Le tiers de piques s’avère compliqué. Lorsqu’enfin le toro charge, il le fait dans le plus mauvais des styles. La cuadrilla gère au second tiers. Brindis au public. Le toro a tendance à être distrait. Tomás Rufo attaque la faena sans retenue à droite dans un positionnement engagé et des trajectoires longues et par le bas. Musique. Le toro transmet et Tomás alterne muletazos classiques et les changements dans le dos si chers à Andrés Roca Rey. A gauche, il doit gérer le désintérêt du bicho en terrains proche de toriles. L’ayant déplacé au centre, Tomás Rufo arrache une série droitière de moindre impact. Un nouveau changement de terrain permet au jeune matador de connecter une dernière fois avec les Sévillans. Estocade entière avec engagement total, et mort spectaculaire. Oreille.
Le dernier Victoriano est un tío. Tomás Rufo le salue avec des véroniques d’une lenteur et d’un "temple" qui provoquent les olés. Il est appliqué dans la mise en suerte au cheval et le toro pousse tête relevée sous le peto. Chicuelinas mains basses et demi-véronique "templée". Le toro part de loin et pousse lors de la seconde rencontre avec le cheval. Sergio Blasco salue pour une paire de banderilles exposée. Brindis au public. Début par passes de costadillo enchaînés avec une série gauchère le corps relâché A ce stade le toro semble vouloir abandonner le combat, mais Rufo l’oblige à rester dans sa muleta par naturelles. La musique joue. À droite, le torero dans un total relâchement "cite", corps droit. Poursuivant à gauche Tomás s’éfforce pour garder le toro dans la muleta. Il y parvient à la fois à gauche et à droite dans un travail de soumission de l’adversaire pourtant rétissant. Le point négatif de la faena est qu’elle a traversé le ruedo. En entrant a matar Rufo subit une violente et dramatique voltereta lors de la première tentative infructueuse. La seconde entrée à l’épée est entière, tombée, portée avec décision. Le public, enthousiaste, sollicite les deux oreilles, celles-ci étant accordées sans hésitation par le président. Applaudissements au dernier de Victoriano del Río.
Après les triomphes de Daniel Luque et de Tomás Rufo, il me vient à l’esprit que si un grand toro permet une faena réussie du début à la fin, sans défaut, dans ce qu’il reste de Feria, il va être difficile pour le président de ne pas accorder l’ultime trophée (la queue).
René Arneodau