La corrida était annoncée comme un hommage à Victorino Martín Garcés, ganadero exemplaire et maintenant historique, décédé en octobre, l’an passé. Après le paseo, une minute de silence était observée et un poème élégiaque dit, (mauvaise sonorisation du «palais» de Vistalegre) à la gloire du brujo de Galapagar (esp : sorcier. Dit par sympathie et admiration pour l’oeuvre d’éleveur accomplie). Une peinture, portrait du créateur de la prestigieuse ganadería, œuvre de Mónica Gimeno, était remise à Victorino Martín Jr. et à sa fille, Pilar.
La corrida pouvait commencer devant une assistance qui couvrait la moitié de l’arène. Corrida qui, en ce début de saison, était juste de présentation – on est dans une place de deuxième catégorie – mais de hechuras propres à l’encaste, de cornes pas exagérées et de poids avoisinant les 500 kg. les pensionnaires de Las Tiesas eurent un comportement semblable, «encastés» par les difficultés qu’ils présentaient, avec des charges courtes, retours rapides, et … quelques faiblesses. Une seule pique pour châtiment sauf les 3ème et 6ème , mis en valeur par Emilio de Justo, par volonté propre, en deux piques, habitué à cette pratique honorable apprise de ses passages en France la saison dernière.
Emilio de Justo, torero de Cáceres, fort de ses succès dans le Sud-Ouest et à Illescas (Toledo) avec des victorinos, était à juste titre à sa place dans ce cartel de Madrid, sans doute appuyé par Victorino Martín Jr. chez qui il «tiente» et connaisseur de ses toros. Il remplissait son contrat en coupant une oreille au 3ème à la suite d’une faena volontaire et vaillante devant un animal qu’il fallait combattre en profitant de ses caractéristiques, pas favorables à des passes artistiques, court dans des charges inachevées par des retours à mi-hauteur que le torero dominait, la muleta toujours en position pour éviter l’accrochage. Faena vibrante appréciée par le public qui portait le torero dans son combat. Une estocade en se jetant sur le garrot, en bonne place. Une oreille amplement méritée. A la cape, il entreprenait ses toros peu enclins à bien suivre le leurre. De la même tonalité était l’attitude d’Emilio de Justo au 6ème, «consentant» les charges d’un toro qui protestait dans la muleta, la tête haute. Une estocade tombée mettait fin à cette faena saluée par une ovation.
Curro Díaz, chef de cartel, avait ses partisans pour voir en lui le torero artiste - qu’il est- et qui profitait de cette prédisposition des aficionados pour ne pas forcer son talent au premier victorino. Sans doute aiguillonné par le succès d’Emilio de Justo, il ravissait, avec classe et grâce, toréant à l’ancienne, toujours en mouvement, le 4ème, le plus fort du lot de 548 kg. Il liait et distillait des passes des deux mains, profitant d’une charge suave d’un toro qui avait tendance à aller vers les planches. Curro sût se mettre à bonne distance sans brusquer un toro pas trop docile - deux coladas à gauche – qui visiblement n’aimait pas les cites rapprochés. Des changements de main, des remates opportuns et brillants et une estocade basse d’effet rapide valaient une oreille largement sollicitée. Applaudissements du toro à l’arrastre. Le président, pas encore rodé à son rôle, faisait sonner précipitamment un changement de tercio alors que le torero estimait nécessaire une deuxième pique. Au 1er, Curro Díaz avait montré des détails de torería pas suffisants pour animer un toro, court de charge, juste de force et bravoure. Pour sa faena et l’estocade desprendida et effective, il recevait une ovation et saluait au tercio.
Daniel Luque fut le moins bien servi : il était impossible de faire passer le 6ème et il n’y eut pas de faena. Ce toro était sifflé à l’arrastre. Le second donnait des signes qualité dans la cape du torero de Gerena (Sevilla) toujours à l’aise dans les véroniques de réception. Ce toro, brave à la pique, attentif à tout ce qui se passait dans le rond, se déplaçait avec classe durant le tercio de banderilles où brillait Raúl Contreras qui devait saluer à l’invitation du public. Il fallait déchanter car le toro changeait de comportement aussitôt après. On notait une seule série de derechazos où Daniel Luque «templait» une charge qui allait vite se dégrader, le bicho la tête haute à la sortie des muletazos, sans trop de forces non plus. L’estocade entière et l’hémorragie buccale qui suivait, faisaient oublier les bons passages de la faena et le torero se retirait sans avoir accompli la faena espérée.
Curro Díaz : saluts et une oreille. Daniel Luque : saluts et silence. Emilio de Justo : un avis et une oreille ; saluts.
Georges Marcillac
Photos: Javier Arroyo - Aplausos.