La corrida traditionnelle de La Beneficiencia s’est déroulée sous une chaleur suffocante à guichets fermés et en quasi absence de toros. Bien entendu sont sortis des chiqueros de Las Ventas, des toros, même sept, puisqu’un d’entre eux, un joli sardo de nom « Enamorado » de 526 kg. était renvoyé aux corrales pour sa faiblesse évidente après une vuelta de campana ou cabriole qui l’amoindrissait alors que ses premiers passages dans la cape de José María Manzanares augurait un bien meilleur résultat. Julián López « El Juli » sauvait, si on peut dire, cette corrida présidée pour la première fois par le roi Felipe VI depuis son couronnement, en coupant une oreille au 4ème. Alejandro Talavante repartait bredouille sans avoir signé une seule faena digne de ce nom.
Ce cartel de luxe, de figuras, en cette journée taurine de prestige était complété par des toros de Victoriano del Río. Comme c’est souvent et malheureusement le cas en pareil évènement, les toros n’accompagnaient en rien la pompe de cette corrida, hymne national, tapisseries et drapeaux, guirlandes, banderilles fleuries, réception des toreros par le roi. En effet, le lot de toros n’était pas celui réservé par leur propriétaire (des toros de cinq ans… entre autres) car les impositions des uns et des autres, au moment du reconocimiento et sorteo, livraient des animaux certains anovillados, malgré le poids et armures de respect, qui n’avaient pas la force d’aller au bout des faenas ?? soit par manque de force, soit par manque de caste. Pourtant la suerte de varas, si souvent escamotée, donnait lieu à un beau combat des 1er, 2ème (sobrero de Domingo Hernández) et 5ème (picador : Paco María) avec de bonnes charges et poussées sur le cheval. Seul le 4ème durait dans la muleta de « El Juli », grâce à la science du maître.
Julián López « El Juli » après s’être heurté à un toro qui ne se déplaçait pas ni répétait dans la muleta découvrait dans le quatrième « Almirante » de 633 kg., cornivuelto, tout juste quatre ans et cinq mois… des qualités mises en évidence dans un quite par chicuelinas mains basses, une cordobina et demi-véronique, le tout bien lié au centre du ruedo. Le toro s’animait durant le tercio de banderilles et les premières passes de contact avec la muleta, lentes et une naturelle en guise de remate annonçaient une faena qui confirmait d’une part le potentiel du toro, d'autre part la volonté, la entrega, du torero. « El Juli », ferme dans sa position, obligeait le toro à répéter ses charges dans la muleta, basse, convaincante. De plus, dans les naturelles» et les passes de poitrine « El Juli « se faisait passer le toro près de sa ceinture et se croisait lorsque celui-ci baissait de régime pour terminer quasiment arrêté. Les passes étaient tirées une à une et la faena venait à sa fin pour placer une estocade entière, un modèle de julipié, couchant le toro sans puntilla. L’oreille était accordée. Sans avoir atteint les sommets, « El Juli » avait fait une nouvelle démonstration de technique et aussi de pundonor.
José María Manzanares avec ses deux toros ne pouvait briller qu’à la cape pour recevoir le 5ème, titulaire de Victoriano del Río, par des véroniques pieds joints et revolera et dans un quite pour amener au cheval par une surprenante larga afarolada suivie de chicuelinas al paso et une belle demi-véronique ; à la muleta avec le sobrero de Domingo Hernández par des naturelles, la corne gauche étant la bonne, liées au début, unes à unes ensuite avant d’abréger et prendre l’épée. Le reste ne mérite aucuns commentaires sauf que les toros ne permettaient aucune chance de briller faute de race s’arrêtant le premier et visant les barrières son second. Comme d’habitude JMM était efficace à l’épée et la placer à la course selon son style de se profiler à 3-4 mètres …
Alejandro Talavante semblait se traîner avec la même vivacité que ses toros, sous l’effet de la chaleur sans doute, et ne montrait rien, faute de matériel : le 3ème se dirigeait vers la querencia dès les premiers muletazos, le 6ème, traité avec douceur pour le maintenir sur pattes, était « toréé« sur la gauche et puis rien. Dans les deux cas un pinchazo et trois-quarts de lame achevaient ses non-faenas.
« El Juli »: silence ; une oreille. José María Manzanares: silence ; un avis et silence. Alejandro Talavante: silence aux deux. Plusieurs toros, sinon tous, furent sifflés à l’arrastre.
Georges Marcillac