La corrida de El Ventorillo ainsi que le cartel de toreros n’avaient pas attiré le grand public qui sans doute se réservait pour la course de demain. Deux faits marquants cet après-midi où seule une pluie accompagnait la lidia du deuxième toro : « Morenito de Aranda » coupait une oreille au 5ème et Gonzalo Caballero recevait une cogida sévère à son premier et passait à l’infirmerie. Pour le reste on notera que désormais, Pedro Gutiérrez « El Capea », qui devait combattre? trois toros, ne réussissait pas à renverser l’animosité du public madrilène à son égard, qui le siffle et conspue avant même qu’il ait fait mine de se mettre devant ses opposants. Cela fait partie de la difficulté pour certains toreros d’affronter en premier le public de Las Ventas qui a ses têtes de turc et « El Capea » en est l’exemple le plus frappant. Il est difficile parfois d’être le fils de son père… Les toros de El Ventorillo, en général bien présentés, certains musculeux et hondos, malgré la disparité des poids, ne facilitaient pas la tâche des toreros, les quatre premiers avaient comme dénominateur commun celui de lancer derrotes, hachazos, gañafones - des coups de tête intempestifs et dangereux. Le premier n’acceptait aucune passe, le deuxième était manso, le troisième avait une charge brusque, les quatrième et dangereux sixième ne montraient aucune classe pour être toréés aidés en cela par « El Capea » incompétent et sans recours.
Le 5ème était le toro de la corrida. La prestation de « Morenito » fut en tout point exemplaire et c’est justement à « Chocolatero » de 5 ans ½ et 532 kg, qu’il toréait aussi bien à la cape pour le fixer, car fuyard et suelto durant le premier tiers, qu’à la muleta où ce toro se « lâchait » et permettait une faena complète et de grand impact sur le public. Plusieurs séries de la gauche, muleta basse, compas ouvert, chargeant la suerte, « Morenito » visiblement toréait avec plaisir et goût, le toro brave et noble apportait de l’émotion au trasteo sérieux avec des phases artistiques, naturelles longues, passes de poitrine profondes, passes du desprecio et sur la fin les passes par le bas pour naturellement cadrer le toro et lui administrer une demie estocade efficace. Une oreille bien méritée récompensait l’effort du torero d’Aranda de Duero.
Avec une envie de triomphe évidente « Morenito » s’était jeté dans la bataille dès la sortie du toril du 2ème qu’il attendait a porta gayola pour ensuite lui servir des véroniques bougées et vibrantes, dans le même terrain. Après avoir fixé le manso qui recevait les piques du picador réserve et du titulaire en poussant latéralement, la faena de muleta paraissait plutôt une lutte, le toro attaquant la tête haute avec ses hachazos, le torero défendant sans rompre, parvenant à s’étirer dans des passes terminées par les coups de cornes en l’air. Un pinchazo hondo et une demie estocade mettait fin à cette faena compliquée ponctuée d’un avis.
Gonzalo Caballero, dont c’était la première corrida depuis son alternative impromptue de
la Feria d’Automne de l’an dernier, lui non plus ne reculait pas devant les charges brusques de son toro, se croisait sur la droite et réussissait à le faire passer de très près à la merci d’un retour inopiné et risqué. Le toro acceptait ainsi deux ou trois séries de ce style. Gonzalo Caballero citait le toro pour une naturelle, quasi de face, croisé, et survenait l’accrochage: sans même entrer dans la muleta, le toro le prenait de la corne gauche à mi-hauteur de la cuisse gauche provoquant une rapide hémorragie. Un garrot à la jambe, Gonzalo tenait à mettre à mortson toro, tant bien que mal, avant de recevoir une belle ovation et gagner de son propre pied l’infirmerie.
Pedro Gutiérrez « El Capea » avait la charge de lidier le dernier toro de la course et il tombait à nouveau sur un animal d’armures plus que respectables, violent, dangereux même, qui recevait un châtiment exagéré sans que sa force en fût amoindrie. Sans confiance, il déclenchait des olés moqueurs (de mauvais goût) d’un public qui n’appréciait pas l’attitude du torero pas plus qu’il ne comprenait le péril pourtant évident d’affronter d’une manière orthodoxe ce BICHO. Habile ou malheureux ses trois coups d’épée à ses trois toros étaient « de travers » et nécessitaient un grand nombre de descabellos.
« El Capea »: bronca ; deux avis et sifflets ; sifflets. « Morenito de Aranda »: un avis et applaudissements; une oreille.
Georges Marcillac