La corrida traditionnelle de Bienfaisance de Madrid s’est déroulée à guichets fermés sous un beau soleil et une douce température et sans vent apparent. Toutes les conditions étaient données pour cette corrida présidée par le Roi Felipe VI et par un cartel de luxe avec, en tête, le rejoneador Diego Ventura suivi des matadors Julián López «El Juli» et Diego Urdiales. Les toros étaient de Los Espartales pour le cavalier et de Nuñez del Cuvillo pour les toreros à pied. Sur le papier tout concourait pour ce qui est l’évènement taurin le plus important de la saison. Et pourtant le succès complet attendu ne s’est pas produit, les circonstances de la lidia et l’attitude d’une certaine partie du public ont assombri le déroulement et l’ambiance d’une fête purement taurine…en théorie. En particulier, les faenas de muleta de «El Juli» et Diego Urdiales aux 5ème et 6ème ont été perturbées par des énergumènes trouvant sans doute très opportun de crier un grand nombre de fois «Viva el Rey» ou «Viva España» avec la réponse des « Viva ! » aussi incongrus que déplacés. Ces acclamations intempestives se répètent malheureusement ces derniers temps à Las Ventas. Est-ce la situation politique actuelle de l’Espagne qui incite à clamer un patriotisme exacerbé ou bien est-ce le fait de trublions cherchant à faire remarquer leur voix ou simplement leur bêtise ou leur manque de respect pour les toreros et le public attentif? Toujours est-il que ces mouvements n’ont évidemment rien à voir avec la corrida où des hommes face aux toros jouent sinon leur vie ou risquent de graves blessures comme ce fut le cas ces derniers jours et même aujourd’hui lorsque le premier toro de Diego Urdiales poursuivait Victor Hugo Saugar «Pirri» après la pose de banderilles et l’atteignait en entrant à un burladero et lui infligeait une cornada de 35 cm !
Diego Ventura coupait une oreille du 4ème après une faena plus complète qu’à son premier et surtout parce que ce toro, plus mobile, permettait au rejoneador de déployer son répertoire et briller avec ses chevaux "Dólar", "Nazari" et "Remate" aux trois tiers de la lidia surtout à la paire de banderilles avec «Dólar» sans le caveçon. Les quiebros ou les passages toréant avec la croupe de ses montures, Diego Ventura montrait à la fois son sens du toreo et sa virtuosité de cavalier. Il tuait d’un efficace rejón de muerte contraire. A son premier, un toro manso et sans goût pour le combat, Il avait cherché à l’animer et surtout l’éloigner des tablas, la querencia ostensible de l’animal. Il avait attendu le toro a puerta gayola, armé de la garrocha. La faena, malgré ses efforts, Diego Ventura recevait le silence après un rejón de muerte long à faire effet.
«El Juli» n’insistait pas trop avec son premier del cuvillo qui était à la limite de ses forces ou se maintenait sur pattes uniquement par la technique du maestro. La charge noble ne transmettait rien pour le torero qui prenait l’épée pour porter une estocade verticale un peu desprendida. Au 5ème, un toro de 620 kg, jabonero, volumineux et cinqueño, «El Juli» avec maestría l’avait toréé à la cape pour ensuite, à la muleta, dessiner une faena, commencée par des doblones «templés», où, avec facilité et même esthétique, il dessinait tantôt des derechazos longs, tantôt des naturelles plus courtes, toujours ferme dans ses gestes et positions. Las, une succession de «julipies» et pinchazos ruinait tout espoir de trophée, d’une oreille méritée.
Diego Urdiales laissait le soin à son banderillero Victor García «El Victor» de jauger la charge du toro sorti 3ème, montado, qu’il fallait attirer vers le tercio car il s’était planté au centre du ruedo… Il sortait de la suerte à chaque capotazo. Statique ou sans codicia, il prenait une pique soutenue et la suivante sans appuyer. Il arrivait au tercio de banderilles sans vraiment se déclarer. C’est là qu’il poursuivait et gagnait à la course « Pirri » et l’atteignait juste pour passer sa corne gauche par la tronera du burladero et le blesser grièvement. La faena montrait tout le classicisme et sobriété dans le geste de Diego Urdiales. Des séries presque exclusivement sur la gauche, ferme, sans concession, il se faisait passer le toro tout près de son corps. Des trincherazos, molinete, molinete invertido, des adornos ou remates agrémentaient les séries des deux mains. Pour terminer, les passes vers le bas accompagnaient le toro jusqu’au point où devait être portée une estocade qui entrait atravesada. Quelques descabellos, un avis et là aussi l’oreille qui s’imposait ne pouvait être accordée. Au 6ème, l’application de Diego à tirer du sobrero de La Reina des passes de valeur, une à une, n’avait pas de répercussions sur le public, sauf sur la fin lorsque le tumulte des vivas et protestations à leur encontre, avaient quelque peu cessé. Le toro avait peu de charge et les passes méritoires mais il faut dire que le public était aussi distrait que le torero, déconcentré et déconcerté par tout la bruit ambiant. L’estocade finale, bien placée était portée avec décision quand sonnait un avis.
Diego Ventura : saluts ; une oreille. « El Juli » : ovation ; saluts. Diego Urdiales : un avis et saluts aux deux. Le quatrième toro de Nuñez del Cuvillo était renvoyé aux corrales pour faiblese et était remplacé par un toro de La Reina, de 547 kg. Le "no hay billetes" était affiché aux guichets. 23.394 spectateurs. |
Georges Marcillac
Très intéressant votre site. Merci pour votre précise description des faenas.