Cette avant dernière corrida de l’atypique Feria de San Isidro était empreinte d’une aura pas très taurine car, en même temps, se jouait la «finale» du championnat espagnol de football entre le Club Atlético de Madrid et le Real Madrid se disputant, par équipes interposées, la première place de la « Liga ». Celle-ci revenait justement à la deuxième formation madrilène. La deuxième mi-temps des deux matchs était suivie sur les téléphones portables en même temps que les évolutions des trois matadors de l’affiche d’aujourd’hui : « Morante de la Puebla », Julián López « El Juli » et Juan Ortega devant des toros de Garcigrande. Les toros de Justo Hernández, favoris de « El Juli » ont ruiné bien des espoirs et n’ont pas eu le rendement habituel bien que le 5ème ait permis le succès du Madrilène et deux autres, malgré leurs lacunes, d’apprécier l’inimitable torería de Juan Ortega. Inutile de préciser que le tercio de vara (au singulier) était réduit à sa plus simple expression (pardon pour le pléonasme).
« Morante de la Puebla » abrégeait ses «faenas» et l’on pourra utiliser ce mot dans son acception de travail obscur qui consistait à se débarrasser de deux animaux impropres à la lidia tauromachique, moribond le premier et sans une passe le 4ème. Seules deux véroniques et une demie et son habilité au macheteo final… sont à mettre à l’actif de Morante.
Julián López « El Juli » ne faisait guère mieux à son premier faible et sans jus qu’il mettait à mort après deux séries de la droite qui n’avaient de sens que pour montrer l’incapacité de ce toro à se mouvoir dans la muleta. Surprise : « El Juli » entrait droit à l’épée. Le 5ème, le plus lourd du lot - 566 kg. à la bascule - n’avait montré rien de positif dans les capotazos de réception, non plus sous la pique, en s’ «endormant», encore moins au deuxième tiers (à noter cependant deux bonnes paires de banderilles de José María Soler). Malgré tout cela, son brindis au public le prouvait, « El Juli », lui ,seul expert en la matière, avait discerné des qualités à ce toro pour le toréer comme il sait le faire, avec efficacité sans fioritures. Les doblones un genou en terre, une passe de poitrine, vertical, confirmaient sa disposition et volonté de triompher, sans doute pour se racheter de son demi-échec de samedi dernier. La faena se déroulait en plusieurs terrains, et chaque fois, le mando et la maîtrise s’imposaient dans des séries liées en forçant l’animal à terminer les passes. Le toro, sans trop se livrer, mettait bien la tête dans la muleta. Emporté par le jeu qu’il prodiguait à ses passes « El Juli » effectuait un changement de main qui décentrait complètement le toro. Il était temps de prendre l’épée. Cette fois-ci, on avait droit à un discret « julipié » et l’épée desprendida roulait le toro. Les deux oreilles était demandées, accordées et « El Juli » visiblement heureux, faisait un tour piste, ceint de l’écharpe de l’Atlético.
Juan Ortega est de ces toreros qui éveillent les passions par son toreo, naturel, inné pour la lenteur qu’il imprime à ses passes et la parcimonie de ses déplacements. Sans avoir réalisé deux prestations complètes ou compactes, aujourd’hui sans usage de la cape, ses toros ne lui donnaient pas la réplique parfaite, la manière d’ « arrêter le temps », de distiller des passes d’une beauté plastique peu égalée, sans forcer ni la position, ni le geste, Juan Ortega enchantait le public et des olés enthousiastes résonnaient sous la voûte de Vistalegre. Des passes de poitrines d’une extrême douceur terminaient les séries. Malgré sa déficience à l’épée, Juan Ortega faisait un tour de piste au 3ème et coupait une oreille au dernier.
Morante de la Puebla : silence ; sifflets. « El Juli » : silence ; deux oreilles. Juan Ortega : tour de piste : une oreille. |
Georges Marcillac
Photos d'après cultoro.com