La saison vient de s’achever à Las Ventas le jour de l’Hispanité et fête nationale en Espagne. Aux fastes de la célébration du matin, défilé militaire et réception au Palais Royal avec la famille royale, Felipe VI en tête, venait s’ajouter l’après-midi, une corrida au cartel somptueux. Depuis plusieurs jours était affiché le no-hay-billetes pour Andrés Roca Rey qui draine les foules par où il passe, Alejandro Talavante dont attendait le rachat après une San Isidro bien décevante et le jeune Francisco de Manuel, lui aussi lauréat de la Coupe Chenel. Ils devaient affronter des toros de Victoriano del Río dont la réputation n’est plus à faire. Comme souvent cela arrive, le résultat final n’était pas celui escompté : la surprise - agréable – venait de Francisco de Manuel qui coupait trois oreilles, André Roca Rey, égal à lui-même enflammait Las Ventas et… échec complet d’un Alejandro Talavante totalement miné par je-ne-sais quel syndrome qui annule toutes ses facultés devant les toros. Quant aux produits de Victoriano del Río, un toro titulaire, le 2ème, et le premier sobrero devaient être renvoyés aux corrales pour leurs déficiences physiques, les autres permettant des faenas, certes, mais allant a menos, le plus brave ayant été le 5ème à la limite de ses forces et « moral » en fin de faena. Les poids allaient de 534 Kg à 615 kg (le deuxième sobrero), tous âgés de cinq ans sauf le premier de quatre ans et six mois et le plus léger. Le tercio de varas ne permettait pas de valoriser les qualités combattives des toros, seul le 5ème poussait sous les piques, bien placées … après rectification du picador.
Alejandro Talavante n’est pas « dans le coup » et son air lymphatique traduisait une absence totale d’engagement et de responsabilité professionnelle. En effet, avec l’excuse de la pauvreté physique du 1er, après plusieurs fléchissements des antérieurs, il devait prendre l’épée pour une estocade un peu tombée et tendida. C’est au 4ème que la tournure de la faena et surtout son final devaient déclencher la colère et le désappointement du public. Très décollé de la trajectoire du toro dans des passes des deux mains, sans transmission ni du toro qui se déplaçait avec peine, ni du torero qui toutefois montrait un certain niveau technique ou sens du spectacle tels changements de mains, pase del desprecio regardrant le public. Avec l’épée, il portait un pinchazo suivi d’une estocade de trois-quarts de lame, tendida et atravesada. Armé du verduguillo, Talavante donnait un grand nombre de descabellos et sans soucier du temps qui passait, recevait les trois avis ! Spectacle affligeant d’un grand torero momentanément? déchu.
Andrés Roca Rey devait attendre la sortie du deuxième sobrero pour vraiment entrer en action. Pratiquement rien avec la cape, si n’est que des charges très ordinaires, tardo dans les « cites » ou face au cheval. Quite quelconque par chicuelinas de Francisco de Manuel. Chargeant au dernier moment pour la pose de banderilles, ce toro mettait en danger Francisco Duran « Viruta » pour ne plus bouger ensuite! Après ce comportement douteux, curieusement la faena débutait par un péndulo double ou même triple – cambio por la espalda – entrecoupé de passes par le bas, changement de main, passe de poitrine, le tout lié dans le même espace. Splendide entame ! Ensuite venaient des passes des deux mains en « perdant des pas » pour arriver à se fixer et exhiber une toreo pas très orthodoxe mais impactant alliant technique et vaillance, tenant ce toro à sa merci, faisant sortir du victoriano-del-río le fond qu’il n’avait pas montré jusqu’àlors. Les bernadinas finales, serrées, étaient le point d’orgue d’une faena empreinte d’émotion ainsi que d’une maîtrise peu communes face à un toro très moyen. L’estocade hasta la gamuza, entière concluante, valait les deux oreilles accordées par le président.
Au dernier – après passage à l’infirmerie – ARR se heurtait à un toro de charge violente et désordonnée qu’il ne pouvait retenir. La corne gauche, était-elle la raison de la prudence d’Antonio Chacón aux banderilles ? Cela ne devait pas impressionner ARR qui commençait sa faena justement sur le côté gauche. Après plusieurs naturelles corrigeant sa position jusqu’à celles meilleures et liées, immobile, ARR dessinait quelques derechazos dans lesquels le toro protestait. Revenant sur la gauche, le toro s’arrêtait. ARR n’insistait pas et avec l’épée finissait par entrer après deux pinchazos. Il faut dire que pendant cette faena l’ambiance avait changé pour faire place à toutes sortes de manifestations vocales de trublions, indifférents du matador qui se démenait avec son toro… Inadmissible !
Francisco de Manuel devait garder son sang-froid et répondre au défi et succès d’Andrés Roca Rey. Sans doute aidé par un toro - le 3ème - qu’il découvrait dans de bonnes passes de cape, suaves, en sortant de la deuxième pique. A genoux, au centre de la piste, il « citait » le toro qui répondait et répétait ses charges. Il dessinait des passes de la droite en redondo, suivies, et debout, d’autres aidées par le bas et pase del desprecio. Un desarme interrompait une série de la droite. Il continuait et le toro semblait s’appuyer trop sur ce côté. Les naturelles qui suivaient, de meilleure facture, un molinete et passe de poitrine, n’empêchaient pas le toro de se diriger vers les tablas. Dans ce terrain, se succédaient d’autres naturelles, un pase circular inversé. Venaient des manoletinas de profil et le toro cadré, Francisco plantait l’estoc très en arrière en se livrant à fond. L’oreille tardait à être concédée… ARR étant encore à l’infirmerie, Francisco de Manuel prenait son tour et recevait par de bonnes véroniques un toro de 576 kg, très armé. Celles vers le centre de la piste n’étaient plus de la même qualité. Alberto Sandoval, contrairement à son habitude, piquait très mal et devait rectifier chaque fois la position de la puya. Le toro, tardo et distrait, était entrepris dans un quite par des chicuelinas affectées, main de sortie baissée, la série terminée par une larga. Le toro se déplaçait de telle sorte que Juan Carlos rey et Fernando Sánchez brillaient aux banderilles. Le brindis au public reflétait l’intention du jeune matador de compléter son premier succès. Il y parvenait dans une faena dont les séries, avec cites » à distance, profitaient d’une bonne charge d’inertie pour ensuite gérer et lier les passes plus courtes et « templées ». Plusieurs naturelles au ralenti. D’autres de belle facture mais enchaînées après un ou deux pas de correction, le toro ayant baissé de régime, restait court dans la muleta. Dans le terrain du tercio, une dernière série de la droite précédait des passes aidées par le bas, efficaces, tant prisées du public madrilène. Une estocade jusqu’à la garde fulminait le toro dont le comportement avait permis une faena enlevée et bien construite. Torero ! Torero ! scandait la foule conquise. Les deux oreilles étaient évidemment octroyées.
Alejandro Talavante : silence ; trois avis et bronca. Andrés Roca Rey : deux oreilles ; silence. Francisco de Manuel : une oreille ; deux oreilles. Au tercio de banderilles du 2ème, saluait Francisco Durán Viruta »de la cuadrilla d’Andrés Roca Rey au 2ème, Juan Carlos Rey et Fernando Sánchez de celle de Francisco de Manuel en faisaient de même au 6ème. Andrés Roca Rey passait à l’infirmerie où était diagnostiquée une coupure provoquée par l’épée dans la paume de la main gauche qui affecte les nerfs collatéraux du majeur. Anesthésie locale. Peut continuer la lidia. Beau temps. 22.294 spectateurs. No-hay-billetes. |
Georges Marcillac