Le lot de Victorino Martin n’était pas homogène pour une arène de première catégorie, et n’a pas délivré le comportement espéré. Les Victorinos sont en transition et seul leur ganadero sait où il veut mener ses produits. Pour l’instant le passage est difficile.
L’empresa Pagés a imposé le mano a mano par suite du forfait d’Emilio de Justo après sa blessure de Madrid. Le poste aurait pu être proposé à une figure montante d’autant plus que le face à face entre les deux vétérans n’avait pas beaucoup de sens.
Le premier victorino a une charge incomplète dans la cape électique d’ Antonio Ferrera. Cette cape à la texture si inadaptée au toreo. Le toro fait sonner l’étrier sous une mauvaise pique. Il tarde à retourner pour une seconde ration. José Chacón et Fernando Sánchez brillent et saluent au second tiers en adaptant parfaitement leurs cites, en terrains rapprochés, aux réticences du toro. Brindis à Emilio de Justo convalescent. Ferrera se confie après trois passes de tanteo pour des doblones et trincheras sur jambe pliée. Les naturelles lentes sont terminées en position de déséquilibre à la recherche d’un repositionement prématuré. Dans la série suivante, courte, le torero rectifie cette scorie. À droite, le bicho raccourcit sa charge et sautille. Ferrera poursuit dans les cornes pour arracher des naturelles valereuses. Pinchazos et entière trasera, desprendida, atravesada. Descabellos et avis.
Le second de Victorino Martín surprend Miguel Ángel Perera lorsqu’il essaye de le citer par contre balancier. Il rectifie pour servir des delantales communs. Le victorino exécute un tiers de piques anodin embelli par un quite final de Ferrera. Curro Javier ne parvient pas à allonger sa charge au second tiers. Perera essaye de le faire à droite à base de douceur dans les toques, et "temple" dans les passes. Le public reproche le manque d’émotion de la charge. Perera abrège. Divers pinchazos mettent fin au trasteo. Sifflets au toro. Silence.
Le troisième charge la cape d'Antonio Ferrera avec brusquerie, au point de rouler au sol, emporté dans son élan. Comme avec son premier, Ferrera place le bicho loin pour la première pique, ce qui n’a pas vraiment de sens. Même de près le victorino ne charge pas et le public proteste ce manque de combativité. Enfin sous le peto, le toro subit plus qu’il ne combat. À la molesse de charge s'ajoute une faiblesse que la muleta du matador tente de gérer. C’est à gauche que Ferrera arrive à lier des naturelles de bonne facture, en soutenant la charge au pas de l’albaserrada. Lorsque la musique joue, la faena se décompose et devient brouillonne. Estocade maison en venant de loin au pas, pour entière contraria. Pétition non majoritaire d’oreille. Vuelta.
Le quatrième de Victorino, terciado, boîte et subit l’épreuve du fer. Au centre Miguel Ángel Perera cite de loin, à droite, muleta en main. Le toro répond avec mobilité, mais aussi avec faiblesse. Dès la seconde série la charge se raccourcit, la tête se relève et la soseria se confirme. Perera fait l’effort à gauche, avec "temple", mais à partir de là le public se divise et l’inconsistance s’installe définitivement. Esocade entière tombée, atravesada. Sifflets au toro. Silence.
Le cinquième toro de l'après-midi, après avoir donné l’impression de refuser le combat, produit les meilleures charges du jour à la cape dont profite longuement Ferrera en véroniques et demie. Placé loin du cheval, le toro pousse tête relevée au niveau du train arrière du cheval. Pour la seconde pique il tarde à s’élancer et sort seul. Quite de Ferrera par revoleras enchainées. Brindis à Joaquín Sánchez (fooballeur de Betis Balombie). Le toro a conservé un bon tranco sur fond de faiblesse. Quelques derechazos mettent l’eau à la bouche. Ferrera opte pour un positionnement fuera de cacho pour ne pas étouffer la charge. L’ensemble du trasteo, accompagné par la musique, manque d’abord d’intensité et de profondeur, à l’exception d’une série gauchère et d’un long derechazo de remate, sans l’épée, dans la série suivante. Pour provoquer la charge, Ferrera se place dans les cornes et s’abandonne. Il fait totalement oublier la mollesse de l’opposant à base de "temple" et lenteur. Pinchazo en marchant et en se faisant ouvrir la taleguilla. Il répète le même exercice alors que sonnent les clarines et porte une entière en basculant avec noblesse sur le berceau. Oreille avec pétition de la seconde. Applaudissements au toro.
Le mano a mano se termine avec un sixième Victorino à la charge ouverte qui permet à Perera d’enchaîner quelques véroniques sans relief avant un desarme. Le tiers de piques est anodin en deux passages sans vraiment mettre la puya. Les chicuelinas et demi-véronique de Perera sont faciles, le toro laissant l’espace libre. Antonio Ferrera intervient avec un quite brouillon. La prestation de Curro Javier aux banderilles, supérieure, lui vaut de saluer au second tiers. Brindis au public. La première série droitière montre une charge vive mais fébrile. La suivante baisse de ton et la musique joue. À gauche, le toro a rendu les armes, se retourne dans les chevilles et provoque la voltereta. De retour à droite, la soseria est totale, mais le public, ému, demeure réceptif alors que la musique continue de jouer. Le matador insiste dans le berceau lors d’un dernier passage à gauche. Entière trasera. Ovation.
Il y aura des chroniques dithyrambiques, des critiques du marginal (Joaquín invité au ruedo), mais l’essentiel reste la description détaillée des évènements. Seulement ainsi l’aficionado peut nourrir la réflexion et se faire une opinion.
René Arneodau