Alba de Tormes (Salamanque) – 6 mars 2023 – Séminaire et tentadero pour un aménagement des conditions et “outils” de la corrida.

Sous l’égide de la Communauté Autonome de Castilla y León et dans la prespective de son nouveau règlement taurin, la municipalité d’Alba de Tormes accueillait, dans son joli Théâtre de la Villa, un séminaire qui réunissait des scientifiques vétérinaires, professionnels et aficionados d’Espagne, France, Portugal et Mexique. L’inauguration était à la charge de la alcadesa d’Alba de Tormes Dª María Concepción Miguélez Simón et de la directrice de l’Agence de Protection Civile et Urgences Dª Irene Cortés Castro.

En représentation de l’Insituto Internacional de Investigación de Tauromaquia (IIT), le professeur D. Antonio Purroy exposait les besoins de réformes de la corrida en raison de l’évolution de la société au regard du bien-être animal et de la vision portée sur les différentes phases du spectacle où sont mis en cause, par d’autres, la souffrance, la maltraitance et les droits des animaux. L’animalisme et l’antispécisme disposent d’une bonne presse et de large moyens pour diffuser leur idéoñogie mais il revient au monde taurin de protéger le toro qui est une authentique oeuvre d’art de la zootechnie. Il convient de respecter le toro, de faire émerger sa bravoure intrinséque sans perdre l’essence même du combat. Pour tout cela, s’impose une modification des outils de la lidia – déjà expérimentés en Espagne et au Mexique – en priorisant le concept d’une nouvelle pique, limitant le saignement, tout en maintenant la beauté de la suerte de varas.

Dans cette optique, tour à tour, le biologiste Fernando Gil Cabrera et le vétérinaire Francisco Hernández Alejandro décrivaient les mécanismes hormonaux de réduction du stress, inhibition de la douleur et déploiement de la bravoure ainsi que les facteurs génétiques et ambientaux qui la favorisent ou la déservent. De même étaient analysées la biomécanique du toro dans son assaut au picador et cheval harnaché et la dépense énergétique qu’il développe. Pour accorder à la suerte de varas toute sa vérité, à la fois tempérer la fougue et la force du toro et créer conjointement beauté et émotion, s’impose la dosification des rencontres et réduction des blessures et châtiments exagérés, inútiles et contre-productils pour la suite de la lidia. Le ganadero Victorino Martín allait dans ce sens dans son duscours. Il invitait les picadors à réaliser, dans la mesure du posible, la suerte de varas dans des conditions qui n’aillent pas à l’encontre des qualités du toro souvent anhililées après leur passage aux piques.

Les outils de toréer

C’est à Julio Fernández Sanz, vétérinaire spécialiste du toro de combat, et Manuel Sales, matador de toros, que revenait la mission de présenter les outils issus de leurs études, concepion et fabrication, et communiquer les résultats des nombreux tests effectués sur un grand nombre de novillos et toros. Ces études portent sur six outils utilisés durant la lidia: la devise (divisa), la pique (puya), banderilles, épée, descabello et puntilla avec pour objectif celui de minimiser les blessures provoquées par les harpons de la devise et des banderilles actuelles, de l’effet malplaisant et sanglant des puyas et d’augmenter l’efficacité de l'épée et de la puntilla. En ce qui concerne la pique – point le plus aigu, si on me permet l’allusion -  ses nouvelles dimensions et sa forme pyramidale à quatre faces tendent à réduire la profondeur de la blessure et le saignement, de permettre la répétition des piques, conforter ainsi le sens de la suerte de varas pour la mise en valeur de la bravoure du toro sans l’épuiser, en conservant ses facultés physiques nécessaires au déroulement de la faena de muleta. Les harpons de la devise et des banderilles sont remplacés par des poinçons de forme conique qui assurent la fixation sur la peau du toro sans provoquer des blessures inútiles dont sont parfois victimes les matadors au moment de la mise à mort (larges plaies aux mains) L’épée voit augmenter sa partie tranchante jusqu’à 20 cm de la garde en comparaison avec l’épée actuelle seulement aiguisée sur le premier tiers de sa longueur. A ces modifications, s’ajoute celle de l’étrier droit du picador rembourré et revêtu d’un tissu de kevlar pour réduire l’impact frontal et possible traumatisme du toro dans son contact, sous la pique, avec le cheval,

Tels sont les nouveaus outils fabriqués par Manolo Sales et présentés durant le séminaire.

Les harpons de la devise et des banderilles sont devenus des poinçons coniques dont la base assure la fixation sur le cuir du toro sans provoquer de blessures superieures à 3-4 mm de diamètre, ni saignement.

                       

De plus les banderilles possèdent un système télescopique ou rétractile qui réduit leur longueur de 25 cm et d’un mécanisme pour qu’elles pendent une fois posées, ce qui suppose moins de risque pour le torero (se souvenir de blessures graves provoqués par les banderilles: Miguel Espinosa “Armillita” à la gorge, Carlos Collado “Niño de la Taurina”, Eladio Peralvo et Javier Vázquez (perte de vision, oeil gaiuche) et moins de gêne pour le toro.

Différents prototypes de puyas ont été conçus dans le but de minimiser les blessures et saignements que produisent les piques actuelles. En effet, il est courant d’entendre les picadors et autres toreros dire que les piques doivent “faire saigner”, pour ahormar, faire baisser la tête du toro, calmer son ardeur? et le préparer à la faena de muleta. A contrario, Julio Fernández Sanz indique qu’habituellement la perte de sang sous la pique est insignifiante par rapport au volume sanguin d’un toro adulte ( ≤ 7,5% pour un toro de 500 kg.). Dans l’espoir de démystifier cette idée, les nouvelles puyas de forme pyramidale à quatre faces au lieu de trois des piques actuelles, sans butoir encordé, garantissent une blessure nette, moins profonde, éliminent l’effet d’”ouvre boîte” en l’absence d’arêtes coupantes perpendiculaires à l’axe de la cruceta. De ce fait, les graves lésions musculaires et parfois pulmonaires du toro sont évitées. Ces innovations prétendent favoriser, pour le grand plaisir des aficionados.  la régénération de la suerte de varas, considérée par beaucoup en décadence, souvent réduite à la monopique.

Prototypes de puyas

Les épées, elles aussi, sont modifiées pour permettre une meilleure pénétration: lame élargie, arêtes coupantes prolongées, pointe plane et arrondie. La cruceta est maintenue pour le descabello dont la lame est au contraire, réduite pour une meilleure penétration dans la cavité ou espace atlantoaxial, c’est-à,-dire entre les vertèbres C1-C2, pour atteindre la moelle épinière du toro et provoquer son affaissement avant que sonnent les avis… après une estocade d’effet incertain. Vient ensuite l’usage de la puntilla dont la forme est différente de celle utilisée actuellement: lame plus étroite pour facilter sa fonction et pénétration dans l’espace atlantoaxial ou articulation atlanto-occipitale pour atteindre le bulbe rachidien et entraîner la mort instantanée. Cette opération du puntillazo est très controvertie car elle n’est pas toujours d’effet immédiat et nécessite plusieurs coups de cachete, ce qui indispose les spectateurs sensibles… mais qui relève plutôt, pour certains, d’une opération de boucher d’abattoir (esp: matarife) comme se plaisait à le dire Antonio Ordoñez. Reste à accepter que le puntillero (3éme de la cuadrilla) puisse se placer devant ou derrière les cornes pour exécuter ce coup de grâce… lorsque, dans ce dernier cas, le résultat est plus radical (comme au Mexique…)

                      

         Nouveau descabello en bas de l’image                          Nouvelle puntilla au centre de l’image

Tentadero

L’après.midi ètait consacré à un tentadero pendant lequel seraient utilisés les nouveaux outils décrits ci-dessus. Participaient les matadors Domingo López Chaves, Pedro Gutiérrez “El Capeaet Javier Cortés (en remplacement de Morante de la Puebla, excusé) accompagnés de leurs cuadrillas le picador Pedro Itturalde qui avait déjà participé à une telle expérience. Six toros de Montalvo, Castillejo de Huebra, Antonio Bañuelos, Valdellán, Domingo Hernández y Galache servaient pour cette occasion de “cobayes” pour l’essai des nouveaux outils et l’influence qu’ils pouvaient avoir sur leur comportement et les réactions des matadors et autres acteurs. De cette confrontation, sous l’oeil aiguisés des aficionados et professionnels présents sous la coupole des arènes d’Alba de Tormes, quelques conclusions pouvaient être apportées les unes positives, les autres négatives. Pour les premières, indépendamment des qualités physiques ou de bravoure des toros, on enregistrait un total de 18 piques, même quatre pour le 5ème. Tous terminaient la bouche fermée et conservaient une mobilité que certains, des picadors et aficionados critiques, estimaient comme conséquence d’un châtiment insuffisant, inconvénient qui pourrait aller à l’encontre d’une faena de muleta reposée et artistique. Cela suppose qu, dans le futur, l’essai puisse être poursuivi avec des toros de poids et de contacts plus “sérieux” que ceux de lundi et sans doute avec une puya plus conséquente et de même príncipe. Par contre, toutes les épées, portées jusqu’à la garde, eurent un effet rapide avec le remate de la puntilla aussi efficace. Le point négatif de cette expérimentation fut le manque de fixation des banderilles – un vice de fabrication? -  le poinçon restant en place mais se détachant facilement le bâton. La dimension du poinçon devrait sans doute être révisée pour percer le cuir plus épais de toros adultes.

Comme on le voit, ce tentadero experimental, en présence d’un public sélectionné et… critique, devrait permettre aux scientifiques et techniciens à l’origine de ces innovations, un perfectionnement des outils – piques et banderilles - en tenant compte des conditions que suppose une corrida avec des toros d’âge, en tenant compte des exigences d’une lidia complète, selon les critères règlementaires et tendances du toreo moderne.

Georges Marcillac

Photos extraites du dossier sur l'essai des outils de la lidia innovés remis aux participants du séminaire - Alba de Tormes - 6 mars 2023. 

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