La salle Antonio Bienvenida de Las Ventas ne désemplissait pas ces derniers samedis et dimanches de janvier où, tour à tour, les clubs taurins madrilènes organisaient remises de prix et colloques avec grand succès et présence d’aficionados qui maintiennent et cultivent leur passion en attendant de la vivre sur les gradins, prochainement à Valdemorillo et au Palacio de Vistalegre de Carabanchel, le 25 février. Le club féminin de Las Majas de Goya, sous le titre des "Ganaderías emblemáticas" avait convié José Joaquín Moreno Silva, José Escolar Gil et Victorino Martín GarcÍa pour disserter à propos de leurs expériences d’éleveurs minoritaires, néanmoins fameux et emblématiques. Chacun rappelait l’origine de leur élevage : JJ Moreno Silva était fier de marquer ses toros du fer de Saltillo dont c’était l’origine depuis l’achat de toros de cet encaste en 1960 par son grand’père D. Felix Moreno Ardanuy, d’ailleurs sur les conseils de Victorino Martín qui avait déjà un œil sur cette race de toros avant d’acquérir lui-même un lot de toros d’origine Marqués de Albaserrada provenant d’un croisement de produits de Saltillo-Ybarra (Conde de Santa Coloma), toros que personne ne voulait plus et qui, au fil des ans, récupéraient leur prestige grâce aux efforts du brujo (sorcier) de Galapagar (Victorino Martín Andrés, le père) ; quant à José Escolar, à la suite de successifs propriétaires, il se portait acquéreur d’un lot en provenance des frères Victorino Martín Andrés en 1981.
Ces trois ganaderos ont pour but essentiel d’être présents à Madrid, la place qui fait et défait les réputations, mais JJ Moreno et José Escolar ne tarissent pas d’éloges des arènes françaises de Céret, Vic-Fezensac et de celles des Landes dont Mont-de-Marsan qui les accueillent régulièrement où ils glanent des succès répétés. C’est leur principal marché, disent-ils. Il fallait aussi rappeler les bonnes prestations des albaserradas d’Escolar à Pampelune en 2015 (toro « Costurero » - prix Carriquiri - Paco Ureña - OO) de même que cette dernière année 2016. Il était évoqué la corrida de Saltillo du mois de mai à Madrid, corrida discutée, impossible pour les uns, intéressante pour les autres, les trois avis au 1er, les banderilles noires au 3ème, les subalternes David Adalid et César del Puerto primés pour leur prestation ce-jour-là, un 6ème insuffisamment exploité… José Joaquín Moreno admettait le désastre de cette corrida et soulignait que lorsqu’un saltillo est bon, c’est le meilleur, mais s’il est mauvais, c’est un h…de p… !! (sic), ajoutant qu’un saltillo est « indomptable » (resic). Les trois éleveurs s’accordent à reconnaître que la bravoure du toro se définit par son comportement sous la pique, élément fondamental pour la sélection et valorisation au combat dans l’arène et ils stigmatisent le toro « toreable » qui pour eux est un animal tonto – bête (sic). Ils regrettent que seuls 6 à 8 toreros actuels savent et acceptent de se mesurer à leurs toros et que l’on n’exige pas aux figuras de faire de même. L’alimentation, quasiment scientifique de nos jours, la pose des fundas, les soins sanitaires sont aussi des contingences et problèmes communs aux trois ganaderos, opérations liées au maniement (pour ne pas dire manipulations - fundas – NDLR) des toros qui perdent leur sauvagerie originelle. D’ailleurs Victorino Martín a abandonné cette pratique - celle des fundas - n’y trouvant aucun avantage sinon quelques désagréments corroborés par María del Pilar, sa fille vétérinaire, invitée par l’Union des Abonnés de Las Ventas, le 15 janvier, avec Mara Mayoral à une conférence-colloque avec pour thème « Ganaderías con acento de mujer ». Inévitablement, il était question de "Cobradiezmos" gracié à Séville le 13 avril, toréé par Manuel Escribano et des deux autres victorinos graciés, l’un "Plebeyo" à Calasparra (Murcie) (30/07- Curro Díaz), l’autre "Platónico" à Illescas (Tolède) (08/10 - Gómez del Pilar) qui de retour à Las Tiesas seront ou sont déjà les nouveaux sementales de l’élevage.
La corrida de Illescas, montée à l’initiative de Victorino Martín Jr. et annoncée comme "corrida totale" confirmait l’importance des trois tercios, pour que soient mis en valeur et jaugés les toros et aussi les professionnels, picadors, banderilleros et, bien sûr, matadors qui les affrontaient dans les règles de l’art. Le résultat fut concluant : une vuelta pour "Escogido" le premier des six victorinos et deux oreilles pour Cristian Escribano, "Platónico" recevant l’indulto et les trois toreros et le mayoral sortaient a hombros en fin d’une corrida qui avait rassemblé tous les ingrédients d’un spectacle complet. Mara Mayoral, héritière avec ses sœurs de l’élevage (encaste Santa Coloma) de leur père Pablo Mayoral, contait que ses toros, de par leur origine, leur physique aussi, étaient destinés principalement aux novilladas sans picadors qui représentent le 75% de son marché bien que cette année, en avril, une novillada faisait sa présentation à Madrid pour un résultat qualifié d’intéressant avec un novillero primé de la vuelta al ruedo à chacun de ses novillos. La crise économique et la réduction des spectacles, des novilladas principalement, expliquent cette politique modeste de production sans perdre la substance même du sang de Santa Coloma.
Comme il est dorénavant l’habitude, la même Union des Abonnés de Las Ventas décernait son prix au meilleur toro de San Isidro qui revenait cette année à un toro d’Alcurrucén de nom "Malagueño" combattu par David Mora le jour de son retour à Las Ventas (voir chronique du 24 mai 2016) qui à l’occasion coupait les deux oreilles. Pablo Lozano Jr. en représentation de son père recevait un cadeau-souvenir du Président D. Jesús Fernández après avoir rappelé qu’un autre produit de l’élevage, « Jabatillo », avait reçu tous les prix de 2015 après une grande faena de Sébastien Castella (voir chronique du 27 mai). Alcurrucén, d’encaste Nuñez après plus de trente ans d’existence, est un élevage de référence pour les grandes ferias espagnoles et françaises, d’un cheptel étendu car il est ainsi possible de sélectionner un peu moins de vingt corridas par an pour la plupart des plazas de première et 2ème catégorie.
Georges Marcillac