Dans un article précédent il était rappelé combien le chiffre 3 était présent dans la corrida. En cette deuxième corrida de la Feria de la Madeleine cela s’est vérifié encore car il y eut trois bons toros et les trois toreros triomphaient chacun selon leur style pour le grand plaisir du public ravi qui avait rempli les arènes de Plumaçon. La corrida était de Nuñez del Cuvillo, dans son ensemble bien présentée, avec trois toros, les 2ème, 3ème et 4ème qui, différents dans leur comportement, permettaient néanmoins des faenas de haut niveau. Le tercio de piques n’était pas aussi escamoté que la veille et si le châtiment était dosé, tous les toros allaient au cheval les deux fois règlementaires.
Enrique Ponce devait saluer après le paseillo en reconnaissance de sa prestation de l’an dernier. Il invitait José María Manzanares et Thomas Dufau à se joindre à ce salut. Le premier cuvillo, râblé et bien armé, redoublait sa charge dans la cape d’Enrique et recevait un picotazo puis une puya plus sérieuse et devait être mis de nouveau en suerte, la présidence n’ayant pas accédé à la demande de changement de tercio. Pour la faena ce toro présentait quelques difficultés - cabeceo et tête à mi-hauteur - qu’Enrique Ponce résolvait patiemment mais les forces manquaient au cuvillo qui s’éteignait rapidemment. Un pinchazo et une estocade entière concluaient cette faena. Au 4ème, on devinait qu’Enrique Ponce n’allait pas en rester là après les succès de ses collègues. Ce toro, haut sur pattes, bien encorné, d’un bon tranco dans la cape se révélait le plus compliqué de l’après-midi : charge vive mais courte, il ne baissait pas la tête dans la muleta, terminait les passes la tête haute créant une certaine émotion à la faena qui était administrée. Celle-ci, sans être spectaculaire, était empreinte de toute la science, technique et valor que possède ce torero, vétéran mais aussi volontaire et décidé qu’un novillero. Peu à peu, la muleta était plus basse et le toreo « sur jambe » du début se faisait plus statique, les passes en redondo trompaient l’intention du toro de donner de la corne en fin de muletazos. Enrique Ponce se permettait le luxe de lier maintenant les passes et terminait une série par une somptueuse trincherilla. La faena était longue, accompagnée par le « concert » de l’orchestre montois et terminée par un pinchazo sans lâcher l’épée suivie d’une estocade entière. Une oreille était accordée sans discussion. Du grand art !
José María Manzanares coupait les deux oreilles de son premier, un toro qui montrait une certaine faiblesse de pattes, plutôt du train arrière, avec pour conséquence quelques pertes d’équilibre. Il se déplaçait sans trop de vigueur mais avait sous la pique soulevé le cheval… Dans un quite par chicuelinas lentes de Thomas Dufau on devinait la qualité de ce toro confirmée par la suite dans la faena, faite de passes suaves, sans « obliger » l’animal, qui, réticent au début, prenait confiance et conservait peu à peu son équilibre, finissait par suivre la muleta convaincante de José María Manzanares.
La faena allait a más, de belles naturelles à la fin, une série en redondo et une grande estocade hasta la bola. Là aussi du grand Manzanares débarrassé de son toreo ventajista et superficiel. Le 5ème de nom « Idílico », castaño de robe et de belles hechuras, ne faisait pas honneur à ses ascendants (un autre toro, de même nom, peut-être son progéniteur, avait été gracié à Barcelone par José Tomás, le 21 septembre 2008), distrait donc sans fixité, irrégulier et court dans ses charges dans la muleta, il se retournait brusquement et obligeait JMM à « perdre des pas », corriger sa position pour enchaîner les passes. Ceci dans le silence le plus complet donc sans intérêt ni pour le public ni pour le torero qui en finissait en portant une estocade-éclair spectaculaire.
Si l’on pouvait attendre des deux maestros précédents de belles choses, le doute était permis pour Thomas Dufau qui relevait d’une blessure pas encore cicatrisée (blessé à Eauze le 11 juillet dernier). Pourtant, il créait la surprise en signant une faena magistrale à un bon toro, certes, mais encore fallait-il y mettre les formes et Thomas Dufau, sûr de lui, gestes posés et élégants, s’était déjà distingué à la cape dans un quite où alternaient les chicuelinas et tafalleras, paraphé d’une revolera au ralenti. Le cambio por la espalda du début, redoublé, et la passe de poitrine en guise de remate donnaient le ton d’une faena complète : des cites lointains auxquels répondait supérieurement le cuvillo de nom « Hoacino » nº 196, des passes longues et templées, de belles naturelles, une passe de poitrine de 360º, un molinete belmontista, des dosantinas terminées par un superbe changement de main, manoletinas lentes, tout y était pour un immense succès jusqu’à la mise à mort qui se réduisait à deux pinchazos et une estocade entière, assortis d’un avis ! Une oreille était malgré tout accordée et la vuelta au toro, brave, de grande classe, auquel il avait peut-être manqué l’étincelle qui en aurait fait un grand toro. La faiblesse du dernier cuvillo réduisait l’intérêt que pouvait avoir une faena où l’on notait, à nouveau, les bonnes manières du torero montois. A ce toro, Rafael Viotti et Manolo de los Reyes s’étaient distingués aux banderilles.
Enrique Ponce: applaudissements ; deux avis et …une oreille. José María Manzanares: deux oreilles ; saluts ; sortie a hombros. Thomas Dufau : un avis et une oreille ; saluts. Vuelta au 3éme de Nuñez del Cuvillo.
Georges Marcillac