Qu’on me pardonne si j’écris ces quelques lignes en première personne. Ce matin j’ai assisté comme des centaines de personnes aux obsèques de Victor Barrio dans la commune de Sepúlveda (province de Ségovie), où le torero vivait. Sous un soleil de feu qui illuminait la campagne castillane, tout le monde taurin s’était rassemblé pour un dernier hommage au torero tombé sous la corne de « Lorenzo » toro de Los Maños (de Santa Coloma). Sauf les toreros qui toréaient aujourd’hui à Pampelune, la plupart des toreros-figuras, des novilleros, des hommes de cuadrillas, en activité ou retirés, des ganaderos, la presse spécialisée, des aficionados anonymes, nous étions tous là pour cet émouvant adieu.
J’ai connu pour la première fois Victor Barrio, en juin 2010, où il alternait avec Javier Castaño lors d’une tienta chez Tiburcio Lucero dans sa finca de Brunete (Madrid). Après ce premier contact, je le suivais la fin de saison 2010 et en 2011, son année de novillero la plus complète, avec des succès aussi bien dans les courses de village que des places de deuxième ou première catégorie. D’un abord simple et cordial, Victor répondait naturellement aux saluts et volontiers acceptait la conversation juste avant le paseo, ces moments difficiles de concentration et recueillement pour les toreros. Après l’alternative les contrats ne furent pas suffisants pour confirmer les qualités toreras de Victor revendiquées, néanmoins, par un grand succès à Valdemorillo en février 2015 devant des toros de Cebada Gago. Victor Barrio oeuvrait aussi pour ses semblables et encourageait les apprentis toreros et organisait des happenings taurins pour montrer les rudiments du toreo aux enfants. Samedi dernier survenait la cogida mortelle de Teruel faisant suite, cette année, aux conditions dramatiques de la disparition du torero mexicain Rodolfo Rodriguez « El Pana » et de la cogida mortelle du novillero péruvien Renato Motta. Ces morts, celle de Victor Barrio le rappelle, donnent un sens à la profession, à la vie des toreros, comme celle du toro dans l’arène qui donne un sens à tous les toros braves que l’on élève pour que se perpétue la tauromachie, ce jeu de la vie et de la mort sans cesse recommencées.
La photographie ci-contre avec ses protagonistes symbolise ce qui précède et révèle aussi un trait de la personnalité de Victor Barrio torero confirmé, qui ici, porte sur ses épaules le jeune Carlos Ochoa triomphateur de la finale du « Camino a Las Ventas 2015 ». Victor Barrio « costalero » (pour paraphraser le nom des porteurs des pasos de la Semaine Sainte) sa carrière déjà écrite, porte celui qui, peut-être, sera meilleur et le dépassera. Qu’importe : un torero succèdera à un autre et perpétuera la profession de matadors, ces héros des temps modernes, difficiles de copier, difficiles d’égaler, qui représentent et subliment les rêves des aficionados, ceux des gens « normaux ». Le dimanche avant sa dernière corrida, Victor Barrio était sur les gradins des arènes de Madrid applaudissant à tout rompre un autre jeune torero qui est justement le deuxième « porteur » de la photo, Daniel Menes, qui venait de couper une oreille le jour de sa présentation à Las Ventas. Carlos Ochoa et Daniel Menes étaient, ce matin, à leur tour, en larmes, porteurs… du cercueil de leur ami Victor Barrio.
La mort du torero nous ramène à la réalité, nous rapproche de cette mort, la nôtre aussi, celle qui survient impromptue alors qu’on pensait qu’elle serait pour plus tard, peut-être jamais… (Victor avait 29 ans…). Et quelle mort ! Face à un toro brave, heureux de toréer, de maîtriser cette charge, de penser peut-être à la mise à mort et sortir triomphant de ce combat de braves. Las, une rafale de vent fait voler la muleta, la corne frôle le corps du torero, au sol lui perfore la poitrine, lui coupe la respiration et anéantit en une seconde la vie, tout le bonheur promis, la victoire sur le toro qui lui aussi allait mourir. Cette mort brutale, glorieuse pour la gent taurine, regrettée aussi, ne paraissait plus faire partie du subconscient des professionnels du toreo, encore moins de celui des aficionados, bien qu’une phrase qui paraît toute faite, fait habituellement dire aux toreros que chaque jour « ils se la jouent » (la vie). La mort de l’un des leurs, nous oblige à prendre conscience du danger latent, de cette mort qui rode souvent bien occultée par la standardisation des toros et des faenas, aussi peut-être par le toreo moderne, esthétique, presque parfait dont la dérive vers la perfection nous fait oublier que le toro brave, s’il en reste, ne répond qu’à son instinct et reste porteur de toutes les infortunes, parfois fatales, dont seront toujours victimes les toreros.
Les réseaux sociaux allaient se déchaîner, trouvant un motif d’allégresse pour voir enfin un torero mort, vengés les milliers de toros morts innocents. Ne reculant pas, le doigt sur leur clavier, à se réjouir de cette mort, de cette aubaine de verser leur fiel sur la victime, de proférer l’insulte à la famille du défunt, enveloppés de l’ignominie la plus abjecte, les chantres de la protection animale s’en sont donné à cœur-joie dès l’annonce de la mort de Victor Barrio. Un certain Vicent Belenguer Santos de Valence qui se targue d’être maître d’école, lançait un communiqué qui a scandalisé le monde taurin et quelques anti-taurins – c’est peu dire – qui a fait l’objet d’une pétition de révocation de sa condition d’éducateur et de poursuites engagées par la Fundación del Toro de Lidia qui dorénavant prend en charge les plaintes des aficionados et qui s’est mis à la disposition de la famille pour laver ces injures immondes. Lorsque les soi-disant protecteurs des animaux – esp : animalistas – défendent la sensibilité des animaux êtres vivants au même titre que les êtres humains, ils s’abaissent à la condition animale – dans le sens péjoratif du terme - pour porter les jugements étalés sur Facebook et Twitter sous couvert souvent de l’anonymat. Alors que la mort de Victor Barrio élève la profession de torero et le sens de la corrida de toros, cette mort permet de dévoiler, si c’était nécessaire, la mauvaise foi, la manipulation des esprits des protecteurs des animaux, celui des opposants à la corrida, la déviation mentale de leurs raisonnements et leur absence de tolérance.
Georges Marcillac
Tout est dit.texte magnifique.