La corrida de Pedraza de Yeltes n’a apporté autre chose que la dramatique cogida de Juan Leal au troisième toro, de nom «Portador», le mal nommé car porteur au bout des cornes d’une malédiction qui poursuit le torero arlésien qui, par ailleurs, à son habitude, se place souvent à la merci de l’accrochage. Cette fois-ci, l’accident se produisait au remate d’une série de naturelles, une passe de poitrine même pas engagée, lorsque dans un derrote, la corne gauche pénétrait dans le fessier et produisait une blessure de 25 cm qui contusionnait la zone sacrum-coccyx. Pourtant tout avait bien commencé face à un toro que Juan avait accueilli par des véroniques jambe de sortie fléchie et qui fonçait et poussait le cheval du picador jusqu’aux barrières, tantôt s’arrêtait comme au tercio des banderilles – Marco Leal et Manolo de los Reyes, spectaculaires devaient saluer l’ovation – ou, d’un bon galop, répondait au «cite», de Juan Leal à genoux, depuis le centre du ruedo. Cette entrée en matière de faena provoquait chez le public une réaction à la fois de surprise et d’effroi, alors qu’au contraire Juan Leal exécutait avec sérénité et brio la série en redondo, conclue par deux passes de poitrine toujours à genoux.
La faena se poursuivait par des séries de la droite et de la gauche jusqu’à l’accident, donnant l’impression que le toro n’était pas complètement assujetti à la muleta. La charge était courte et le torero réduisait les distances. Visiblement blessé et endolori, Juan reprenait la muleta, se mettait à nouveau près des cornes, se payait un pase circular et un autre avant de porter une estocade en deux temps pour enfoncer l’épée, entière et concluante. Pour l’émotion de la cogida, la vaillance du matador, l’oreille fortement demandée était finalement accordée. Juan passait à l’infirmerie avant de terminer son tour d’honneur.
Les toros de Pedraza de Yeltes n’arrivent pas à donner toute satisfaction à Las Ventas alors que leurs succès sont patents dans les places françaises après leur «découverte» à Azpeitia en 2013. On ne retrouvait pas chez ces toros les plus de six-cents kilos habituels à la bascule. De grande charpente, ils peuvent en effet supporter de tels poids et se déplacer sans peine. Aujourd’hui, leurs poids s’échelonnaient entre 534 et 592 kg. A l’image de celui échu à Juan Leal, ils poussaient honnêtement les chevaux, trompant en cela un public friand de grandes charges face à la cavalerie, pour ensuite avoir des courses et charges irrégulières tantôt mettant la tête dans la muleta, tantôt la relevaient en fins de passes. La noblesse des 1er, 2ème et 4ème ne transmettaient que l’ennui, le 5ème était plus hargneux compliquant son passage à la muleta et parfois même arrollando, se jetant sur l’homme en fin de passes et obligeant ce dernier à «rompre», le 6ème, veleto, s’arrêtait et gardait la tête en l’air comme absent entre passes et passes.
Les deux autres matadors de la terna, Octavio Chacón et Javier Cortés écoutaient des silences au terme de chacune de leurs faenas. Le premier devait, en tant que chef de lidia, combattre trois toros car Juan Leal n’avait pu en tuer qu’un seul. Au 1er, le début et la fin de la faena étaient classiques, statuaires et ayudados respectivement et ensuite des passes étaient distillées sans aucune vibration, et pour cause, le toro fléchissait des antérieurs et les séries s’avéraient interrompues et incomplètes. Le 4ème, donnait des signes de mansedumbre, se reprenait après les piques mais la mollesse de charge et la position décollée du torero rendaient le tout sans intérêt. Octavio Chacón voulait bien faire mais la brusquerie et le mouvement continu des charges du 6ème qui ensuite s’arrêtait sans intention de combattre, l’empêchaient de terminer honorablement sa première présence à la San Isidro.
Javier Cortés tentait d’imposer son style à des toros qui, eux ne s’y prêtaient pas. Le 2ème fléchissait des pattes avant et ne permettait aucune continuité aux premières séries de la droite. A mi-hauteur, c’était mieux mais ce toro ne transmettait rien pour ensuite faire mine de fuir de la muleta. Au moment de la mise à mort, le cadrage était laborieux car le toro se dirigeait vers la querencia. Le 5ème, se révélait le plus compliqué, sa charge descompuesta n’était pas améliorée par des muletazos secs que lui donnait Javier Cortés alors que, peut-être la douceur, s’imposait. Finalement sa mauvaise caste se déclarait, se défendant à chaque invite de muleta. Bons efforts des deux matadors à la cape mais guère brillants à l’épée…
Octavio Chacón: un avis et silence; silence; silence. Javier Cortés: un avis et silence; silence. Juan Leal : une oreille après blessure.
Georges Marrcillac