Au-delà de la simple relation des faits de cette corrida tant attendue qui avait rassemblé des aficionados de tout bord et régions (même de France) il est nécessaire de tirer sinon des conclusions du moins des commentaires à propos du malheureux Emilio de Justo et de l’involontaire protagoniste que fut le sobersaliente Àlvaro de la Calle. Sur ce dernier, en particulier, de nombreux articles et messages sur les réseaux sociaux lui ont été consacrés, lui donnant une importance au-dessus de la réalité.
Chacun sait que cette corrida se voyait interrompue ou plutôt son scenario se trouvait bousculé par la cogida d’Emilio de Justo, de l’impossibilité de continuer la lidia et l’obligation du premier sobresaliente Álvaro de la Calle d’assurer la tâche de combattre les cinq toros suivants. La réception d’Emilio de Justo dès son apparition à la porte des cuadrillas et l’ovation au terme du paseillo montraient combien le public était reconnaissant et admiratif du geste de se présenter à Las Ventas face à six toros en ce début de temporada. Dans mon article du 15 mars, je soulignais le défi que représentait pour le torero cette encerrona et « mettait en jeu sa carrière et son avancée au rang de figura pour la décennie taurine » qui vient vraiment de s’ouvrir en 2022. Malheureusement, cette prévision s’est trouvée confirmée. En effet, comme ce fut le cas, maintes fois, ces corridas en solitaire dépendent de plusieurs facteurs qu’à priori le torero et son apoderado ne dominent pas au moment de la prise de décision. Les incertitudes et les impondérables, nous le savons, sont des éléments qui déterminent toute corrida de toros : les toros d’abord, les conditions climatiques et l’état animique du matador en ce jour aussi important et évidemment l’accident, la cogida…
Emilio de Justo dessinait une faena volontaire, vibrante accompagnant dans deux premières séries de naturelles la charge tout aussi vibrante du magnifique toro de Pallarés. Celui-ci ne passait pas aussi bien de la droite, découvrant ce défaut génétique santacolomeño de sortir des passes la tête en l’air. Aussitôt la reprise à gauche relevait le niveau et les passes par le bas vers la barrière concluaient brillamment la faena avant la mise en suerte pour porter l’estocade. Là, survenait la cogida exécutée avec le maximum de risque car Emilio s’élançait dans un petit saut, sans « donner la sortie », et la corne droite accrochait les deux jambes jointes et provoquait la voltereta suivie de la chute de front sur le sable. Repris au sol, Emilio s’extrayait des pattes du toro - quite de José Chacón - et cherchait refuge vers le burladero du T6. Son geste de douleur désignait la nuque et il était emporté à l’infirmerie. Quelques minutes après, l’annonce était faite que le diestro Emilio de Justo ne pouvait continuer le combat. Plus tard, sur les téléphones portables apparaissaient les nouvelles peu rassurantes de la lésion dont souffrait Emilio : fracture des cervicales C1 et C2, sans déplacement ni affection de la moelle épinière comme enfin le confirmait le communiqué du Dr. Eduardo Hevia. Ce spécialiste traumatologue de la colonne vertébrale déclarait qu’Emilio de Justo ne serait pas opéré mais devrait être immobilisé pendant deux à trois mois dans un corset SOMI de maintien cervico-thoracique. Malheureusement la saison est, sans doute pour lui, terminée… à moins qu’une réapparition ne soit possible pour la Feria d’Automne ?
Álvaro de la Calle fut l’autre protagoniste de dimanche dernier à Las Ventas. Confiné au rôle subalterne de sobresaliente, le matador de Salamanque est un vétéran de presque 48 ans et 23 ans d’alternative. Son nom ne figure plus sur les affiches si ce n’est lors des corridas de mano a mano ou d’encerronas de matadors plus en vogue. De cette manière, il ne trouve que peu d’occasions de faire valoir une foi et une afición mise à rude épreuve. Dimanche dernier fut son jour de gloire, plus par le mérite et la dignité qu’il mit pour affronter les cinq toros restants dont les imposantes hechuras ajoutaient à l’évènement. Après les toros sortis en 2ème et 3ème positions, le public encore sous le choc et dubitatif se réveillait au moment de l’apparition de « 145-Duplicado » de Victoriano del Río qui allait fournir à Álvaro de la Calle l’occasion de se rasséréner, de prendre confiance et toréer avec calme et brio ce complet et brave exemplaire, de le tuer à la première estocade, tendue. L’oreille aurait pu être coupée…
Par la suite, seul le 6ème, de Parladé, offrait des possibilités à Álvaro de la Calle, qui n’ajustait pas la hauteur de sa muleta à la charge « humiliée » du toro qui fléchissait les antérieurs en fins de passes. Sinon, le succès aurait pu être majeur. L’ovation unanime à la sortie des cuadrillas saluait une actuación qui marquera la carrière du matador auquel on suppute un vrai contrat au cours de la temporada à Madrid. Souhaitons-le-lui.
Un fait marquant s’ajoutait à la personnalité d’Álvaro de la Calle et sa prestation de dimanche lorsqu’étaient révélées des photos à son arrivée et départ de Las Ventas. Ces photos couraient sur les réseaux sociaux pour souligner le pathétique, le mode de vie du torero : il arrivait et repartait à pied pour prendre un taxi, se rendre à l’hôtel ? sa fille à la main. Evidemment, on était loin de l’image du matador, entouré et adulé par ses supporters aficionados. Etait-ce l’effet d’un exhibitionnisme à l’envers ou la démonstration involontaire d’un dénuement moral et social ? Ce n’est pas sans rappeler l’image d’un film de 1956 « Mi tío Jacinto » ou « Le Muchacho » (version française) de Ladislao Vajda (1906-1965 - Réalisateur de Tarde de Toros en 1956) dans la ligne du néo-réalisme italien, qui montre un torero raté dans son pauvre « habit de lumière » avec son neveu sur le quai du métro de Madrid. Evidemment toute ressemblance… etc… ne serait que pure coïncidence !
Georges Marcillac