Après les deux premières corridas où les toros dits « artistes » (sic : Juan Pedro Domecq) avaient été choisis pour des toreros dont le style s’accommode précisément des produits d’élevages issus de l’encaste JP Domecq, viendront les corridas « toristas » avec en premier lieu celle d’aujourd’hui, des Héritiers de Don Celestino Cuadri, encaste propre consolidé depuis les années 50 du siècle dernier. Ces toros seront combattus par « Rafaelillo », Octavio Chacón et Damián Castaño. Des toros de cinq ans, volumineux, de poids et de belles armures, dans l’ensemble de bonnes hechuras, telle était la présentation irréprochable des cuadris, qui apportèrent un souffle différent des deux courses précédentes, une surprise ainsi qu’une satisfaction, sans doute partagée par l’éleveur, pour le comportement d’au moins trois exemplaires, les trois derniers. En particulier les 4ème et 6ème devraient recevoir une bonne note pour leur durée et la qualité de leurs charges dans la muleta. Le 3ème, s’étant blessé au sabot de la patte avant gauche, il ne fut pas possible de vérifier la bonne impression faite dès les premiers et seuls muletazos de Damián Castaño.
Remarques: il n’est vraiment pas nécessaire ni obligatoire de placer les toros au centre de la piste pour les mettre en valeur au tercio de piques si l’on n’est pas dans les conditions d’une corrida concours ou si, par nature, les toros ne s’y prêtent pas. Sinon cela devient ennuyeux et n’apporte rien au spectacle. Les tentatives des trois matadors, les une réussies, les autres beaucoup moins, en l’occurrence n’apportaient rien surtout si les picadors, non préparés rataient le placement des puyas… Par ailleurs, il serait utile que le poids des toros soit affiché ou annoncé au public afin d’ajouter au sérieux d’une place de première catégorie comme celle de Mont-de-Marsan. A noter également que les cuadrillas vont face aux cuadris mentalisés et se protègent des défauts ou difficultés qui parfois n’existent pas. De la sorte, la plupart de tercios de banderilles furent bâclés ou tout simplement ratés.
Rafael Rubio « Rafaelillo », 25 ans d’alternative, toujours sur la brèche pour affronter ces toros pas toujours faciles créait la surprise en se montrant toujours torero bouillonnant, toréant « sur les jambes » mais aussi relâché, vertical et maîtrisant les charges des toros avec temple et une certaine classe, qualités insoupçonnées au regard de son toreo avant son grave accident de Pampelune en 2019. Il recevait le 1er par une larga cambiada de rodillas pour continuer par des véroniques légèrement accrochées de la droite, la corne gauche étant la bonne. C’est donc du côté gauche que la faena était entamée par des naturelles longues, sans l’enchaînement souhaité car le toro, qui passait bien, avait tendance à se retourner sur cette corne gauche. Sur la droite, c’était plus compliqué mais « Rafaelillo » se jetait dans la bagarre, se croisait, gérait parfaitement les retours des deux cornes. Il recevait un avis après deux pinchazos et un trois-quarts de lame arrière. C’est au 4ème que « Rafaelillo » nous faisait la surprise d’une transformation d’attitude et de style, de surcroît face à des cuadris. Après les véroniques de réception, jambes semi-fléchies à ce toro de bonne charge qui était bien piqué par Juan José Esquivel, la faena de muleta débutait par des passes lentes, le corps vertical, « templant » dans les passes centrales et les remates gracieux. La deuxième partie de la faena, moins classique, eut pour but d’aller chercher le succès en profitant du répondant du toro. Deux circulaires à l’envers, superflus, des passes électriques et un desplante à genoux se débarrassant des trastos… L’estocade épée demi enfoncée, un peu atravesada, suffisait malgré tout. L’oreille était accordée mais pas coupée sur ordre de l’alguacil, inattentif ou n’ayant pas pas vu le mouchoir blanc du président. Cela entraînait un mini-scandale : le public protestant, le torero réclamant la prix mérité, on allait chercher l’oreille au desolladero… Entre-temps le public continuait de demander l’oreille – la deuxième ? « Rafaelillo » faisait deux vueltas chargé de fleurs tandis que les quolibets pleuvaient sur le président resté ferme sur sa décision.
Octavio Chacón, autre « découverte » des aficionados français, est désormais cantonné à ces corridas « toristas », pour qui le style, les contrats ne lui ont pas permis de se hisser à une catégorie supérieure et donc vivre sa profession avec plus de sérénité. Malheureusement, on passera sous silence ou presque son actuación car au 2ème il montrait déjà des précautions trop visibles, sans confiance, citant ostensiblement du pico de la muleta et toréant à distance. Le toro, tardo, se retenait dans ses charges sans « humulier » pour finalement s’arrêter. Estocade desprendida, atravesada et quelques descabellos. Le 5ème était un tío, magnifique de présence semblait avoir un défaut d’appui sur ses pattes avant, confirmé face au cheval. Il chargeait à mi-hauteur ce qui sans doute augmentait le manque de confiance du torero de Cadix qui déchargeait la suerte, seulement accompagnant sans mando, la charge du toro qui s’améliorait à mesure de la progression de la faena. Estocade de même style que la précédente.
Damián Castaño, jeune frère de Javier Castaño, bien connu lui aussi pour figurer à l’affiche des corridas supposées dures, poursuit une carrière dans la lignée de son frère. Il touchait le 6ème, un joli toro castaño, cornes large ouvertes, dont on devinait la qualité dès les premières véroniques, la tête dans la cape et véloce dans ses charges. La crainte de faiblesse des pattes avant disparaissait lorsque la muleta présentée à mi-hauteur justement évitait la chute éventuelle. Une série de passes, longues et « templées » de la gauche, une autre de la droite confirmaient l’excellence de ce toro qui allait a más de même que la qualité du toreo de Damián Castaño. Malheureusement il gâchait son estimable trasteo par une forme originale mais horrible de porter l’estocade : en courant sur plusieurs mètres , l’épée en avant qu’il plantait presque horizontalement sans précision… pour un bajonazo à la deuxième tentative.
« Rafaelillo » : un avis et ovation ; une oreille et deux tours de piste. Octavio Chacón : silence ; un avis et silence. Damián Castaño : sifflets ; un avis et division d’opinion. |
Georges Marcillac
Photos d'André Viard pour mundotoro.com