Cette première corrida de La Madeleine démarrait fort avec un cartel des plus attrayants où se mesuraient les deux toreros qui comptent cette année mener la vie dure aux figuras et en particulier aujourd'hui à l'un d'entr'eux Julián López "El Juli". Donc Alberto López Simón qui caracole en tête de l'escalafón et le jeune péruvien Andrés Roca Rey se trouvaient face face dans un duel à deux bandes, entr'eux d'abord, avec "El Juli" ensuite. Les toros de Alcurrucén (de sang Carlos Nuñez) étaient là aussi pour que ces duels fussent possible, toros de belle réputation aussi et théoriquement de garantie. Malheureusement toutes les réputations sont difficiles à maintenir et souffrent de demi-échecs comme ce fut le cas en cette corrida d’ouverture. Des toros de présentation propre à une place de deuxième catégorie, de poids et d’armures bien modestes et de comportement inégal devant les toreros, abantos à la sortie en piste (caractéristique de cet encaste) mais virant à la mansdumbre le 1er et surtout le 6ème d’une façon plus qu’évidente. Malgré cela il y eut des applaudissements à l’arrastre… Quant aux piques, seul le 5ème recevait un châtiment correct avec une charge décidée mais un contact court comme tous les autres d’ailleurs qui recevaient des picotazos à la sauvette, le 3ème étant quasiment préparé pour la novillada de demain (sans picadors).
Andrés Roca Rey sortait vainqueur de cette corrida grise comme le ciel landais après le soleil et la canicule de la veille, après avoir coupé les deux oreilles de son premier alcurrucén de nom « Pianista » (toute une lignée de ces toros portent des noms d’instruments de musique, los músicos). Le dit pianista sortait ankylosé du train arrière et la présidence prenait la bonne décision de ne pas le changer car au cours de la faena, ce problème physique disparaissait. Après le tercio de piques (inexistantes) ARR sortait son répertoire à la cape : manquait l’accrochage pour la première des tafalleras, alternait avec caleserinas avec le remate par revolera. Le toro était mobile et l’inévitable cambio por la espalda triplé, les pieds rivés au sol, donnait l’émotion qui jusques là manquait à cette corrida. Les deux premières séries de la droite, classiques, embarquant bien le toro, la muleta basse, étaient du meilleur effet, ciselée la seconde d’un superbe changement de main. A gauche, cela ne passait pas aussi bien, le toro baissait de régime et les passes rapprochées, les circulaires – dosantinas – avec en prime une arrucina faisaient frémir le public! Des manoletinas à la fin et l’estocade entière méritait l’oreille alors que les deux étaient octroyées généreusement. Au 6ème, de pauvres hechuras et manso, le jeune péruvien s’évertuait à donner des passes…
Julián López « El Juli » s’appliquait à garder au centre du ruedo son premier toro, qui avait tendance à chercher la querencia du toril, il y parvenait peu à peu avec le métier et persévérance qu’on lui connait, sans grands éclats, variant les distances et longueur des passes pour terminer par une estocade catastrophique, quasiment dans le flanc du toro, ayant pris la tangente avant de mettre la muleta. Après le succès d’Andrés Roca Rey il ne pouvait que se remettre à l’ouvrage avec un toro, le quatrième, un peu mieux fait, sans fixité, auquel il servait une série de chicuelinas très serrées, baissant la main et donnant le seul trait artistique de sa prestation. A la muleta ce fut encore un bon travail d’artisan – ceci dit sans acrimonie - liant les passes de la droite au début, pour ensuite toréer de profil, à distance, et perdant les pas sur la gauche où émergeait, néanmoins, quelque bonne naturelle. Pour clore cette faena, « El Juli » comme dans ses meilleurs jours nous gratifiait d’un « julipié » magistral, raté, l’épée sortant sur le côté (atravezada).
Alberto López Simón montrait tout au long de l’après-midi des intentions de triomphe mais nous délivrait des faenas calquées sur le même modèle sans pour autant démériter car sa grande vertu est de vouloir lier les passes, restant parfois dans un terrain délicat et abusant aussi comme ses confrères de ces redondos inversés ou circulaires qui souvent se terminent par un accrochage ou bousculade si le toro n’a plus la force de suivre la muleta. Alberto López Simón réalisait toutefois le toreo le plus pur au 5ème, le toro cité à distance, passes longues et templées, liées sans la moindre correction de placement mais la faena allait en décroissant de qualité et d’intérêt par faute de la baisse de régime du toro qui à la fin n’avançait plus. Il fallait abréger, ce que ne faisait pas ALS et de plus la mise à mort n’était qu’une succession de pinchazos qui aggravaient sans doute l’état de son épaule droite endolorie, lésion qu’Alberto traîne depuis quelque temps. A son premier, un toro tardo et irrégulier dans la muleta, tête à mi-hauteur, l’enchaînement des passes était laborieux, possible quand même à droite. A la mise à mort, un pinchazo, suivi d’une estocade entière lui valaient la reconnaissance et une courte ovation du public.
Julián López « El Juli » : silence aux deux. Alberto López Simón: saluts; un avis et silence. Andrés Roca Rey : deux oreilles et silence. Sortie à hombros.
Georges Marcillac