Je ne sais si l’expression convient à l’observation de cette corrida d’ouverture, il n’y eut pas de tromperie, pas d’effet d’optique mais, à défaut d’une autre expression, je l’emploie pour signifier que, pour la plupart des toros de La Quinta, les aficionados ont cru voir ce qui n’a pas été. Comme on le sait, ces toros sont de l’encaste Santa Coloma et leur physique n’est habituellement pas aussi démesuré que celui exhibé par le lot d’aujourd’hui. Tous de plus de cinq ans, ils arboraient des armures imposantes – certains presque cornivueltos - et affichaient des poids qui s’échelonnaient entre 552 et 637 kg. C’était évidemment la condition pour que de tels toros fussent présentés et acceptés à Madrid. Leur comportement était varié allant du mansurrón au semi-brave. Le cinquième impressionnait par sa présence, haut sur pattes, bien encorné et vif à la sortie du toril. Il renversait à la première rencontre le cheval monté par Juan Francisco Peña, plus par l’impact et vivacité de la charge et ne recevait qu’un picotazo. Fort de cette entrée, Javier Cortés le mettait à distance et, cette fois, on était régalé d’une grande pique saluée par le public debout. Ensuite, en supposant que l’on avait affaire à un grand toro, on le plaçait au centre du ruedo dans l’espoir d’une autre pique, hélas, le toro se faisait prier, grattait le sol et même se dirigeait vers le picador-réserve. Il ne restait plus qu’à le placer plus près de la cavalerie et s’envolait l’espoir de vivre un autre grand moment de la suerte de varas. Ce fut le seul éclair des premiers tiers de l’après-midi car les autres picadors ne se couvraient pas de gloire… De par leur grandeur, d’une course pas toujours directe et la tête haute, les la-quinta donnaient de l’émotion à la suerte de banderilles où l’on remarquait «Morenito de Arles» de la cuadrilla de Rubén Pinar, Abraham Neiro «Algabeño» de celle Javier Cortés, Marc Leal et Manuel de los Reyes aux ordres de Thomas Dufau. Tels étaient donc les trois matadors en lice.
Rubén Pinar touchait le premier la-quinta qu’il devait conduire au centre de la piste car il se freinait et sautait dans la cape dès les premiers capotazos près des barrières. Après le brindis au Dr García Padros (Rubén Pinar avait été blessé le 12 octobre dernier dans ces mêmes arènes), la faena ne présentait guère d’intérêt car la charge informelle du début terminait en un modèle de mollesse, de telle sorte que beaucoup de passes étaient données, sans rien apporter au trasteo du torero de Tobarra (Albacete). Le 4ème allait et venait dans la muleta sans se livrer, le torero ne faisait pas l’effort de «composer la figure» devant un toro noble mais sans expression. Les naturelles pieds joints - bougées - et les manoletinas finales précédaient un pinchazo al encuentro et un infâme bajonazo.
Javier Cortés est un torero qui plaît à Las Ventas – il avait toréé cinq fois la saison passée, avec à la clé deux blessures – pour son style classique et sincère. Le 2ème, un toro de 626 kg, mettait bien la tête dans la cape du Madrilène, n’ «humiliait» pas au banderilles mais entrait bien, la tête basse dans la muleta. La première passe de chaque série était allongée mais la charge du toro diminuait et en conséquence les passes des deux mains étaient plus courtes. Javier Cortés signait une bonne série mais le toro semblait s’être «avisé». Un recorte provoquait une chute du toro déséquilibré. Des naturelles pieds joints et l’épée entrait basse et tendida. Le 5ème, celui qui avait subi une grande pique, pourrait être qualifié de semi-brave malgré son comportement hésitant aux deux premiers tiers - semi-manso ? - prompt dans son démarrage, il entrait vif dans la première série pour ensuite transformer sa charge en passages sans rythme, noble mais mou – soso . Une demi-estocade, tombée, atravesada concluait cette faena au terme de laquelle le public applaudissait le toro à l’arrastre ! et gardait silence pour le torero.
Thomas Dufau allait à puerta gayola – pas très nette - pour recevoir le 3ème et lui servir des véroniques bougées dans le terrain du toril. Ce toro n’ «humiliait» pas et grattait le sol… La faena était bougée et terminée par deux pinchazos et une estocade desprendida tendida. Le 6ème comblait d’ennui le public, par sa charge molle lorsqu’il avançait, souvent arrêté (le poids des ans et des kilos), n’allait pas jusqu’à la fin des passes. Quelques doblones pour la forme et un estocade entière, basse et tendida. Notre compatriote était le seul de l’après-midi à vouloir toréer à la cape et réussissait une bonne série de chicuelinas à un toro de charge faible (le 2ème).
Rubén Pinar: silence ; saluts (division d’opinion). Javier Cortés: saluts ; un avis et silence. Thomas Dufau: un avis et silence ; silence |
Georges Marcillac
Photos: Javier Arroyo pour aplausos.es