Pour qui se rend, la première fois, au Mexique avec pour attrait principal celui d’assister aux deux sommets de la présente saison taurine mexicaine, il est normal d’avoir des surprises et sujets d’étonnement. Ces deux sommets, il faut le rappeler étaient la corrida du 31 janvier avec José Tomás à l’affiche pour son unique prestation annoncée de cette année et la corrida du 5 février qui célébrait le 70ème anniversaire de l’ouverture de la Plaza México avec la présence de notre compatriote Sébastien Castella.
Pour le premier évènement, de nombreux aficionados français et espagnols avaient fait le déplacement. Au milieu de la foule qui se pressait à l’heure de l’apartado, on reconnaissait des « taurinos », professionnels de la presse et du toreo, des membres de clubs taurins et peñas des deux pays et tous les aficionados anonymes prêts à participer à la fête, même si la revente des places battait des records. Sous le soleil printanier de ce dernier jour de janvier l’atmosphère qui régnait autour de la plaza était presque euphorique et même électrique tant était palpable l’imminence d’un grand évènement tauromachique. Ce qui surprenait, en premier autour de la plaza et rues adjacentes, était l’ambiance de kermesse animée par les marchands ambulants de coussins, foulards, affiches, chapeaux et autres attributs typiques ou folkloriques, les nombreux restaurants improvisés et les effluves de leur cuisine épicée. Le déploiement policier était sans doute à la mesure de la foule présente et attendue, l’entrée principale de la plaza ressemblant à un bunker disposé pour un assaut imminent : de qui ? des aficionados pacifiques ou des anti-taurins qui finalement se manifesteraient à l’heure de la corrida ?
Vue de l’extérieur, on était loin de ce que l’on pouvait attendre de la grandeur de la Monumental de México, plaza de la capitale d’un grand pays taurin, coincée au milieu la ville, près de la grande Avenida de Insurgentes et de la petite rue Auguste Rodin ! et du Estadio Azul.
Cette grandeur est manifeste lorsque, billet en main, coussin et programme sous le bras, on pénètre dans l’immensité de l’arène. Du niveau de l’entrée principale et de la rue, passée la porte d’accès aux gradins, on découvre la pente vertigineuse d’un immense cratère avec tout en bas la piste, le ruedo, de sable rougeâtre décoré d’un parterre de fleurs. Derrière et au-dessus de soi, une gigantesque couronne pour les gradins des places non numérotées s’ajoute à la démesure de l’ensemble. L’émotion des nouveaux arrivants était à son comble, la fébrilité du public festif aussi, lorsqu’approchait l’heure du paseo les gradins garnis de 45.000 âmes d’aficionados anxieux, excités mêmes alors que s’agitaient les innombrables vendeurs de boissons et autres produits alimentaires – même pizzas chaudes ! – peluches et nouveaux programmes et affiches.
Venons-en à l’aspect taurin de ces évènements. Il est coutume, à Mexico, de recevoir chaleureusement les toreros, obligés à saluer, dès la fin du paseillo. José Tomás et Joselito Adame répondaient évidemment. Comme c’est souvent le cas, la déception fut à la mesure de l’attente. Tout d’abord, les toros – de deux élevages différents – n’avaient ni le trapío ni par la suite le comportement pour permettre aux deux toreros de briller. La bronca à la sortie de l’imprésentable 5ème, pour José Tomás, traduisait l’impatience et désillusion du public. Les aficionados français et espagnols se surprenaient de la portion congrue que représentait la suerte de varas, réduite parfois à une seule piqûre, et de l’indigence de la cavalerie. La faiblesse et le peu de bravoure des toros rendaient les faenas presque insignifiantes. José Tomás ressemblait à tout autre torero et n’avait pas, en tout cas, l’occasion ou l’inspiration de justifier l’auréole qui l’accompagne même quand il ne torée pas. Joselito Adame, devant son public, brillait par sa volonté et son toreo varié, du goût de l’afición mexicaine.
Au risque de répéter, pour la deuxième corrida du 5 février, les mêmes remarques quant à la présence et bravoure des toros, ceux-ci de poids et mieux armés ? (pas tous), permettaient néanmoins de noter la capacité et l’élégance d’Ignacio Garibay et démontrer le courage, le métier et professionnalisme de Sébastien Castella. Sévèrement accroché et blessé dans ses parties intimes par un toro de Manuel Martínez, notre torero national réapparaissait au 6ème comme si de rien n’était, costume recousu (lui aussi ?) face à un toro sans force.
Il sollicitait au juez de plaza – le président de la corrida – un toro de regalo, c’est possible au Mexique. Ce toro de La Joya, melocotón de robe, bien armé, de trapío et mobile permettait à Sébastien de réaliser une faena vibrante, peut-être pas parfaite, mais se livrant à fond, faena ponctuée par des ¡olés! tonitruants d’un public passionné, enthousiaste, tout à coup intéressé et subjugué par une débauche de passes, bien ciselées et templées certaines, jusqu’à l’estocade entière qui roulait le joli sobrero. Il faut peut-être dire que notre torero avait prémédité son coup, et s’était réservé un toro d’encaste différent des précédents (il était d’origine JP Domecq par un produit de José Miguel Arroyo « Joselito ») pour une meilleure garantie d’hypothétique succès. Deux oreilles, vuelta triomphale drapeau tricolore en main.
Sans doute Sébastien Castella avait, par sa prestation, réconcilié les aficionados. La fiesta de los toros trouvant sa vérité lorsqu’il y a des toros et des toreros disposés et capables de les affronter.
Georges Marcillac