Alors que tout prédisposait à un compte-rendu dithyrambique sur cette novillada de El Freixo et des trois novilleros, survenait à la mise à mort du troisième novillo, une terrible cogida qui laissait présager sinon le pire du moins une blessure gravissime à l’abdomen du novillero Manuel Perera. Le parte facultativo, bulletin de santé, du docteur Crespo après l’opération réalisée à l’infirmerie des arènes était ainsi rédigé: blessure par corne de toro dans la fosse iliaque gauche de trajectoire ascendante de 30 cm qui déchire la musculature de la paroi abdominale ; une autre trajectoire pénètre dans la cavité péritonéale de 40 cm avec éviscération intestinale. Pronostic : très grave. L’accident se produisait au moment de porter une estocade qui, d’ailleurs, s’avérait concluante, sans chercher à éviter la corne, entrant tout droit, que Manuel Perera était accroché et, de plus, tombait dangereusement sur la nuque… Le jeune torero de la province de Badajoz ne voulait pas laisser échapper un succès déjà obtenu par ses compagnons de cartel : Antonio Grande de Salamanque et Tomás Rufo de Talavera la Reina (Toledo). Il avait reçu son novillo à puerta gayola par salterillas et gaoneras un peu embrouillées, montrant d’entée sa volonté mais aussi sa vaillance. La faena de muleta débutait à genoux en redondo profitait d’une charge extraordinaire du novillo, maintenue tout au long des séries des deux mains, meilleures et longues de la droite, moins bien dessinées de la gauche. Ce qui importait était de faire face à la difficulté de canaliser les charges du novillo mais encore de rester ferme et bien placé pour ne pas être débordé. Ce que faisait Manuel Perera, se mettant dans les cornes sur la fin et signant sa faena par des manoletinas. L’oreille était largement méritée et emportée à l’infirmerie par la cuadrilla.
Les novillos de El Freixo doivent être mis à l’honneur ou plutôt leur propriétaire qui n’est autre que « El Juli ». D’origine Garcigrande et Daniel Ruiz, la magnifique novillada de ce jour sera sans doute une référence pour sa réputation et son futur. De bonne présentation, des cornes plus agressives les trois derniers, ils affichaient une bravoure, une qualité et répétition de charges, la plupart du temps «humiliées» dans les muletas, une somme de qualités rarement observées pour un lot de six novillos avec toutefois un bémol pour le sixième. Les poids s’échelonnaient de 465 à 487 kg.
Tomás Rufo était le triomphateur de la soirée. Avec deux bons novillos, il pouvait développer un toreo personnel, presque hiératique, vertical et maniant cape et muleta avec facilité, temple naturel et goût. A son premier, il devait s’armer de courage pour le toréer de près car le novillo avait baissé de régime, s’arrêtant au milieu des dernières passes. Dans des naturelles courtes ou un pase circular, les cornes frôlaient sa taleguilla, il restait impassible et soignait la préparation pour la mise à mort pour une estocade contraire.
C’est au 5ème que Tomás déployait tout son savoir et patience pour ce novillo, le plus lourd du lot, qui ne paraissait donner à sa sortie et en début de faena tout ce qu’il montrait par la suite : charges «humiliées», rythme et continuité, qui étaient parfaitement dirigées avec temple même lorsque les naturelles, une à une, donnaient un peu de répit à une faena intense. Une nouvelle estocade contraire et tombée les deux oreilles étaient la récompense d’une actuación qui présage un bel avenir au novillero de Tolède.
Antonio Grande dut tuer trois novillos, les deux siens et celui qui correspondait à Manuel Perera. Ce torero, qui comme beaucoup d’autres voyait sa trajectoire interrompue en 2020, montrait beaucoup de vaillance dans ses prestations avec malgré tout cette façon peu gracieuse de toréer le corps courbé vers l’avant avec sans doute l’avantage de prolonger les charges ou…. de faire passer le toro à une distance… certaine. Antonio Grande affectionnait le toreo à genoux : réception par cordobinas, au centre du ruedo pour des passes en redondo en début de faena et des manoletinas en fin, le tout au 1er ! Le novillo se prêtait bien à ces «fantaisies» ce qui n’enlève rien à la fougue et la détermination étalées, notamment à la suerte suprema, pour une épée un peu horizontale mais décisive. Le 4ème, de joli trapío - 479 kg. - et hechuras, ne paraissait pas aussi bon que ses congénères précédents mais il finissait avec codicia constante, sans la même qualité de charge à laquelle Antonio Grande s’adaptait principalement au moment de l’embroque, début des passes, qu’il pouvait ensuite conduire sur une longue trajectoire. Un pinchazo et une estocade entière. Le dernier, le moins «bon» du lot, statique, obligeait le jeune Grande à toréer au plus près, se mettant dans les cornes pour conclure d’une estocade.
Antonio Grande : une oreille ; ovation saluts ; silence. Tomás Rufo : une oreille ; deux oreilles. Manuel Perera : un oreille, grave blessure. Lolo Zamorano et Fernando Sánchez de la cuadrilla de Tomás Rufo saluaient au 5ème. Les novillos 1er, 2ème, 3ème et 5ème applaudis à l’arrastre. |
Georges Marcillac
Photos de cultoro.com