Après le paseíllo une minute de silence était observée en mémoire de José Gómez « Joselito » mort à Talavera de la Reina le 16 mai 1920 de la corne de « Bailador » de La Viuda Ortega. Cet hommage habituel préludait une corrida de « no-hay-billetes » soit à guichets fermés pour la première fois de la San Isidro, avec le premier cartel de figuras, Antonio Ferrera, José María Manzanares et Alejandro Talavante pour des toros de Nuñez del Cuvillo. Aujoud’hui, ces toreros vedettes sont repartis chacun avec une oreille, prix de différente valeur selon la qualité de leurs prestations respectives et celle, à prendre en considération, des toros qu’ils avaient à combattre. Ce succès ne doit pas cacher la médiocrité des Nuñez del Cuvillo très inférieurs au «traitement» qu’ils recevaient de la part de ces toreros confirmés. En effet, ils donnaient l’impression de bons toros alors que leur comportement anodin, certains mansos déclarés avec une certaine prédilection pour le terrain des tablas - les 1er et 3ème -, un autre affichant une faiblesse extrême - le 4ème -, d’autres fuyant les capes - les 2ème et 6ème . On notait que la suerte de varas ne révélait aucun indice de bravoure évidente malgré des départs vifs, des piques prises al relance et une chute provoquée par le 6ème qui levait le cheval par la croupe et lui infligeait une cornada à l’encolure. L’illusion de la qualité des toros, nous la devons aux maestros bien au-dessus des caractères variables et conditions physiques de leurs opposants. Des trois maestros, Alejandro Talavante devrait être placé sur la plus haute marche du podium si on veut bien me permettre ce simili sportif.
Le torero de Badajoz allait dans le terrain des tablas face au burladero des T7-T6, celui du mansote sorti 3ème pour le recevoir par des doblones et ainsi le retenir avec assurance et lui servait une naturelle basse en remate. Ovation. La suite, un peu au-delà des lignes, dans un terrain qu’imposait le torero, était une succession de passes à un toro qui se retournait brusquement en fin de parcours, des naturelles «templées» malgré cette brusquerie, une série de la droite et un superbe changement de main. Le toro était maintenant fixé. D’autres naturelles et un molinete et pase de pecho, le tout lié avec à la fois facilité et maîtrise.
De nouveau des doblones et une longue passe de poitrine précédaient une estocade quasi entière, contraire, qui concluait ainsi une faena compacte primée sans discussion d’une oreille. On pensait qu’au 6ème allait se renouveler le succès pour conquérir la Puerta Grande. Le début de faena promettait avec un toro qui «humiliait», formidable série de passes variées, fleuries, suivie d’une autre, Alejandro Talavante virant sur ses talons pour enchaîner les passes de la droite. Avec les naturelles, il devait perdre les pas, au ralenti avec la passe de poitrine en terminaison. À ce moment, on devinait que le toro commençait à faiblir… une pause avant d’improviser des passes alternées avec changement de main dans le dos. Il fallait monter l’épée mais l’embellie s’achevait sur des pinchazos et une estocade entière…
Antonio Ferrera comprenait que les toros del cuvillo devaient être traités en douceur. C’est ce qu’il fit avec les siens. Avec le premier, rebrincado, qui avait perdu l’équilibre, faible l’arrière-train, il lui distillait des passes pour l’habituer à la muleta pour ensuite, le corps relâché, le faire passer sans le forcer, séries entrecoupées de pauses. Il plantait l’épée dans le sable et s’en débarrassait pour toréer à la naturelle de la main droite. Avec torería, il marchait entre chaque passe pour laisser «respirer» l’animal dont la charge s’était raccourcie. Une estocade entière faisait l’unanimité pour la demande de l’oreille. Au 4ème, on pourrait dire que le trasteo d’Antonio Ferrera fut celui d’un infirmier artiste. A force de caresses et passes douces à « Rescoldito » (esp: petit reste) auquel il ne restait plus grand-chose, de forces, il le maintenait sur pied, indifférent aux protestations qui commençaient à monter devant l’apathie et défaillance imminente de l’animal. Un metisaca éludant un bajonazo en terminait avec cette faena où manifestement Antonio s’était fait plaisir…
José María Manzanares coupait lui aussi une oreille au 5ème sans vraiment convaincre si ce n’est qu’il dessinait par moments de belles passes avec son élégance coutumière mais ne pouvait occulter les scories de son toreo distant, «sur le voyage». Il maintenait dans sa muleta un toro de charge descompuesta et brillait particulièrement dans des changements de main et surtout des passes de poitrine faisant passer le toro jusqu’à l’épaule contraire dans une rotation à 270o. La faena se déroulait sous quelques protestations, son toreo n’étant pas du goût des «puristes»… Des passes aidées avant de cadrer pour une estocade entière légèrement desprendida exécutée dans son style particulier, avec élan à distance, peu orthodoxe mais efficace. À son premier, faible de l’arrière-train, la faena ne «prenait» pas d’autant plus que lui était reproché, avec raison, son toreo décollé (du toro), «templant» pico de la muleta en avant. Estocade un peu desprendida.
Juan José Trujillo et Rafael Rosa, de la cuadrilla de José María Manzanares, étaient applaudis l’un pour la pose des banderilles au 5ème, l’autre pour la pose des banderilles au 2ème et sa brega au 6ème.
Antonio Ferrera : oreille ; un avis et applaudissements. José María Manzanares : silence ; une oreille. Alejandro Talavante : une oreille ; saluts et forte ovation.
Georges Marcillac