En clôture de La Madeleine la corrida de Dolores Aguirre avait réuni un très nombreux public car les gradins de Plumaçon étaient couverts quasi en leur totalité alors que, il faut bien le dire, les aficionados « toristes » pouvaient seuls avoir été attirés par cet élevage représentatif d’une certaine forme de toros et de casta. Pour les autres spectateurs moins avertis c’est peut-être l’inertie de la fête, le désir de voir une corrida sans doute plus accessible au moment d’acheter les billets et c’est tout à l’honneur des organisateurs d’avoir programmé cette course avec de surcroît l’incorporation de Pepe Moral au cartel après un vote des abonnés et clubs taurins. Octavio Chacón, un torero presque inconnu jusqu’à l’an dernier pourtant déjà un vétéran éloigné des affiches de vedettes et Juan Leal, Arlésien de la dynastie des Leal complétaient le cartel. Selon le style de ces toros d’origine Atanasio Fernández et Conde la Corte - le lot était sans doute le plus lourd de la feria - on retrouvait les comportements habituels froids en sortie, mansos en général, avisés en cours de faenas avec des éclairs de bravoure et noblesse pour peu que les toreros qui veuillent les prendre, fassent l’effort, aient la patience et les qualités techniques pour savoir tirer avantage de ces dernières qualités bien cachées. Les dolores-aguirre d’aujourd’hui ne faillaient pas à la tradition, ils développaient une mansedumbre certaine, n’accomplissaient pas toujours leur rôle d’aller au cheval selon les règles, chargeant inopinément la cavalerie ou la fuyant, même provoquant une chute - le 5ème –, rétifs aux capotes et banderilles, cherchant les planches et la querencia et donnant des sueurs à leurs matadors à la muleta ou bien réagissant avec noblesse comme les 1er, 3ème et 5ème.
Octavio Chacón devait aller chercher son premier toro pour lui faire admettre sa cape qu’il prenait sans trop de vivacité ou codicia dans des véroniques et la demie. La lidia s’mposait pour amener le toro au cheval et Octavio Chacón le faisait ordonnant le placement des membres de sa cuadrilla et picador. Après quelques doblones pour fixer son toro, c’est au centre de la piste que se déroulait la faena exclusivement droitière car, à la première tentative à gauche, le toro chargeait tout droit le torero. Octavio Chacón égrenait des passes de la droite, méritoires, forçant le toro qui répondait mais qui, après trois séries, devenait «avisé». Un pinchazo sans trop se jeter – Chacón recevait au passage un coup de corne à la main gauche – et une estocade entière qui valait une demande d’oreille non accordée. Après passage à l’infirmerie, au 4ème, après une suerte de varas incomplète, le toro sortait réservé aux banderilles et topón dans la muleta. Des coups de tête intempestifs et à la fin sans passer ni à droite ni à gauche. Des pinchazos et le toro se couchait…
Pepe Moral ne pouvait pratiquement rien faire avec le 2ème, manso, qui cherchait le terrain du toril, acceptait sans se livrer une première série de muletazos à droite et s’échappait de la muleta au milieu de la troisième série. Idem sur la gauche. Une épée « contraire » suffisait pour mettre fin à cette première partie de la actuación de Pepe Moral. La deuxième partie était surtout marquée par le comportement du toro, léger et terciado, lors de la faena de muleta et surtout par la clairvoyance du torero qui, à gauche, administrait des naturelles tantôt longues, tantôt courtes selon les charges du 5ème, perdant des pas ou faisant un pas en avant pour reprendre ou aller chercher le toro pour lier les naturelles, certaines «templées » et de bonne facture. Le toro se réservait sur la fin, il était temps de porter l’estocade… horizontale, arrière et croisée (tendida, trasera et atravesada). Malgré cette fin pas très réussie, une oreille (pas unanime) était concédée ! Dommage car Pepe Moral avait pu exhiber autant sa volonté de bien faire que sa technique face à l’adversité.
Juan Leal surprenait et surtout donnait à ses deux prestations une tonalité qui est l’apanage de peu de toreros modernes : émotion, courage, prise de risque et une manière de toréer au plus près des cornes. De plus, il incorpore à son répertoire les passes à genoux, les passes circulaires, le péndulo, desplantes le tout sans oublier les passes fondamentales, derechazos et naturelles qu’il « cite » de face ou de profil mais vertical et avec beaucoup de vérité. C’est tout cela qu’il montrait face à ses deux opposants, pas faciles, l’un qui capitulait rapidement après lui avoir infligé, sans mal, une cogida à l’amorce d’une naturelle, l’autre qui avait un peu plus de charge mais qui peu à peu tirait vers les planches. Juan, par son placement et sa sérénité devant les cornes réussissait avec bonheur et technique des passes circulaires, par ailleurs tellement galvaudées, qu’il enchaînait par un changement de main, prolongeant ainsi la trajectoire autour de son corps avec le remate des passes de poitrine, le tout lié dans un minimum de terrain.
Malheureusement et c’est bien dommage, sa technique au moment de porter l’estocade est à revoir… Les oreilles de ses deux toros étaient sans nul doute acquises sans ses défaillances à l’épée et… au descabello.
À la fin de cette dernière corrida de La Madeleine, hommage était rendu à Michel Cloup qui prend sa retraite de chef de l’Orchestre Montois, institution dont il est le fondateur et qui a animé durant 30 ans de ses pasodobles les corridas du Plumaçon et autres plazas françaises et espagnole. Au centre du ruedo, il recevait le bâton du maire et dirigeait une dernière fois son orchestre. Il était porté en triomphe.
Octavio Chacón : tour de piste ; silence. Pepe Moral : ovation et saluts ; une oreille. Juan Leal : saluts aux deux.
Georges Marcillac
Photos: André Viard pour mundotoro.com