Au cours de l'histoire de la tauromachie le toreo de cape s'est enrichi de nouvelles suertes au fur et à mesure de l'évolution de la fiesta de los toros, de l'inventivité des toreros, de leur sensibilité artistique accompagnée de la précision de la technique et enfin de la réduction de la "sauvagerie" des toros de lidia. Souvent d'obscurs toreros laissaient leur empreinte en un lance original ou risqué, d'autres, de leur génie naissait une passe ou une combinaison de passes de cape - lances - qui composent de nos jours le répertoire des toreros et fleurissent leurs quites.
Un jeune novillero madrilène, ex-élève de l'Ecole Taurine "Marcial Lalanda" de Madrid, Daniel Menés, surprenait le 3 juillet 2016 en allant accueillir un novillo de Sepulveda de Yeltes a porta gaiola en réalisant une suerte qui ressemblait à d'autres mais qui s'en différenciait en lui apportant un sceau original tel que l'on puisse maintenant lui donner le label de "Menesina".
A première vue, la menesina pourrait être considérée comme une interprétation de la tlaxcalteca, elle même inventée par Rodolfo Rodríguez "El Pana". D'autres y ont vu une variation sur la caleserina comme José Luis Ramón dans "El diccionario de suertes del toreo" de "6 Toros 6". Il apparaît cependant, à l'analyse technique de cette suerte, qu'elle ne soit clairement pas une caleserina et qu'elle contient suffisamment de caractéristiques propres pour justifier qu'on lui accorde une appellation unique de "Menesina" faisant référence à son créateur, le novillero Daniel Menés.
La Menesina n'est pas une Caleserina:
La menesina, comme la tlaxcalteca, est une suerte de cape, exécutée a puerta gayola et à genoux. Il s'agit donc d'une passe de cape donnée dès la sortie du toro des toriles, contrairement à la caleserina qui est une passe qui s'intègre dans un quite avec une succession de passes différentes. Elle est le plus souvent exécutée à la suite d'un medio farol qui aura permis au torero de passer le capote dans son dos, position à partir de laquelle il a le choix de dessiner une gaonera, par exemple, ou alors une nouvelle caleserina pour repositionner la cape devant son corps. Il est impossible de réaliser un quite seulement par caleserina. Il est en effet incontournable de passer par une autre passe entre deux caleserinas. De surcroît la caleserina est un lance qui s'exécute en citant le fauve avec le côté du capote qui conduira la charge, alors que dans la tlaxcalteca et la menesina, le torero cite avec l'envers de la cape pour ensuite l'ouvrir et conduire la charge avec le côté opposé.
La Menesina se différencie de la Tlaxcalteca sur les points suivants:
Le positionnement de départ. Pour exécuter la menesina le torero s'agenouille à une distance du toril comparable à celle choisie pour réaliser une larga cambiada, alors que pour la tlaxcalteca le torero s'agenouille juste devant la porte de toriles. Nous verrons que ce positionnement à distance a une importance dans l'exécution de la menesina.
La tenue de la cape en début de suerte. Dans la menesina le torero, après s'être agenouillé, tient le capote dans le dos, les mains positionnées de la même manière que pour une gaonera, en laissant la cape traîner au sol de manière symétrique de part et d'autre du corps. Ceci est une différence notable avec la tlaxcalteca pour laquelle le torero porte la cape sur les épaules, dès le début, avec un pan enroulé par devant son buste dans une préparation asymétrique du leurre.
Les temps de la suerte. Dans la menesina, le torero prend le temps de juger de la sortie du toro de toriles avant de choisir le côté sur lequel il exécutera la passe. Il passe ensuite par les étapes classiques du toreo à savoir: fixer l'attention de l'opposant, le "citer" et enfin exécuter la passe. Dans la tlaxcalteca les choix sont faits avant de s'agenouiller et le positionnement du torero induit, sans option, le côté où la passe sera donnée. La tlaxcalteca est une passe à un temps, alors que la menesina en connait plusieurs.
Ce sont ces différences notables qui nous conduisent à considérer que la dite suerte mérite une appellation exclusive.
La suerte de la "Menesina" en détail:
Tout d'abord il convient de mentionner que Daniel Menés indique ne pas avoir été inspiré dans sa création par la tlaxcalteca dont il n'avait pas connaissance. L'idée de la menesina lui est venue lors d’entraînements avec Victor Barrio à La Casa de Campo de Madrid.
Menés explique qu'en arrivant à l'emplacement où il va s'agenouiller, il fait attention à laisser glisser la cape au sol, dans son dos, pour mesurer l'incidence éventuelle du vent et s’assurer que la cape reste bien ouverte, à plat.
La description technique est fondée sur le visionnage de la video ci-dessus qui corrobore les explications données par le torero.
- Le torero agenouillé attend la sortie du bicho de toriles. .
- Lorsque l'animal apparaît dans le ruedo, la première étape pour le torero est de juger du premier déplacement du toro qui va déterminer le côté sur lequel la passe sera donnée. .
- Dès que le torero a pris la mesure de la première orientation du toro, il doit fixer son attention et le citer en bougeant la cape du côté où le déplacement initial a été réalisé. Dans la video ci-dessus, il s'agit du côté gauche du torero. .
- Lorsque le torero est certain d'avoir retenu l'attention du toro et que celui-ci s'est élancé, il peut armer le capote pour préparer l'exécution proprement dite de la passe. Pour ce faire, il enroule la cape par devant son buste avec le bras, et ce sur le côté choisi pour donner la passe, tout en tenant l'autre pan de la cape dans le bas de son dos avec l'autre main. Cette façon d'armer la cape lui permet d'utiliser une plus grande surface du leurre devant son corps comparé à la tlaxcalteca et aussi d'exécuter un geste d'une plus grande amplitude au moment d'ouvrir la cape. .
- Avec la cape devant son corps le torero doit maintenant juger du meilleur moment pour dévier la trajectoire. A l'instant même choisi par lui, il ouvre la cape sur le coté où il avait décidé de donner la passe, avec le bras qui avait enroulé la cape devant son buste, dans un geste ample qui détourne la charge de l'animal. C'est à ce moment, et seulement à ce moment, que la suerte a une ressemblance furtive et partielle avec la caleserina.
René Philippe Arneodau